jeudi 13 novembre 2014

On m'a dit que...

On m'a dit que...
  • je ne pouvais pas "avoir" un stérilet car je n'ai pas encore eu d'enfant,
  • je ne pouvais pas avoir recours à la stérilisation car je voudrais peut-être des enfants dans quelques années,
  • je devais avoir un frottis même si j'ai moins de 25 ans, parce que j'ai commencé à avoir une activité sexuelle il y a quelques années,
  • je devrais faire une mammographie avant 50 ans parce qu'on sait jamais et qu'il vaut mieux dépister trop tôt que trop tard,
  • je devrais faire une mammographie à 80 ans parce qu'on sait jamais et qu'il vaut toujours mieux dépister,
  • je ne devais pas avoir de relations sexuelles pendant la grossesse,
  • je devais faire le dépistage du diabète gestationnel même si je n'ai aucun facteur de risque parce qu'on sait jamais et qu'il vaut mieux faire un test pour rien, 
  • je ne devais pas prendre de bain après un accouchement,
  • je devais attendre un mois pour reprendre les rapports sexuels avec mon mari mais que "ça" devait être fait avant la visite post-natale à six semaines,
  • je devais ne donner que 4 fois le sein par 24 heures à ma fille de deux mois,
  • je ne devais SURTOUT PAS m'endormir avec elle dans mon lit,
  • je ne devais surtout pas utiliser de liniment pour nettoyer ses fesses,
  • je n'avais pas besoin de faire la rééducation du périnée car j'ai eu une césarienne...
On dit tellement de choses aux femmes, enceintes ou non et aux jeunes accouchées.
On dit tellement de choses qui ne sont pas le moins du monde justifiées.

Et pourtant, en médecine, et donc en gynécologie-obstétrique, nous sommes tenus à ne délivrer que des informations conformes aux données actuelles de la science, comme il nous l'est clairement exigé dans nos codes respectifs de déontologie.
Art 32 du Code de Déontologie des Médecins : "le but du médecin est d'apporter au patient la résultante des connaissances  acquises tout au long de ses études, et de son expérience, à condition qu'elles soient conformes aux données actualisées de la science". 
Art 11 du CDM : "il devra constamment mettre à jour ce qu'il a appris". 
Art R4127-325 (Code de Déontologie des Sages-femmes) : "dès lors qu'elle a accepté de répondre à une demande, la sage-femme s'engage à assurer personnellement avec conscience et dévouement les soins conformes aux données scientifiques du moment que requièrent la patiente et le nouveau-né".
Art R4235-11 (Code de Déontologie des Pharmaciens) : les pharmaciens ont le devoir d'actualiser leurs connaissances.

On parle également d' "Evidence-based medicine" que l'on peut définir ainsi : l'"Evidence-Based Medicine" (EBM ou médecine factuelle) se définit donc comme l'utilisation consciencieuse et judicieuse des meilleures données (preuves) actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient" (Sackett, 1996). Ces preuves proviennent d'études cliniques systématiques, telles que des essais contrôlés randomisés, des méta-analyses, éventuellement des études transversales ou de suivi bien construites. (Source  et source)

Nos conseils, nos "on dit que", devraient donc toujours être basés sur les données actuelles de la science. 
Lors de mon DIU de lactation humaine et d'allaitement maternel, c'est ainsi qu'étaient dispensés les cours. Des études, des études et encore des études.

Seule une médecine basée sur les preuves peut être vraiment respectueuse du patient. Nos patients ne sont pas des enfants à qui l'on peut raconter des "bobards" car ils sont trop jeunes ou trop immatures pour comprendre. Nos patients devraient être nos collaborateurs et une collaboration ne peut fonctionner sans une parfaite franchise et honnêteté. 

Alors, pourquoi, en gynécologie-obstétrique, en 2014, presque 2015, entend-on encore tous ces "on m'a dit que" ? 

La féministe cynique en moi répondrait très facilement : "parce que ce sont des femmes". Les femmes ont été si longtemps considérées comme secondaires par rapport aux hommes, comme incapables de prendre des décisions. Mais pourtant, ce sont aussi des femmes, sages-femmes, médecins ou pharmaciennes, qui répètent ces "on m'a dit que"... Sauf qu'être une femme ne sous-entend pas être féministe et que la médecine reste encore actuellement un milieu très patriarcal.

Mais est-ce la seule raison ?

Une autre réponse me vient à travers la théorie des "tiroirs de la communication".

En effet, lors du cours sur la communication au DIULHAM, Ingrid Bayot nous avait expliqué ce qu'elle appelait "les tiroirs de la communication". 
    1. On trouvait en premier tout ce qui touchait à l'expérience : un échec d'allaitement, une erreur de diagnostic... et à l'affect : des convictions religieuses, des phobies... 
    2. Dans le deuxième, on mettait tout ce qui était démontré, scientifiquement valable : les études sur la guérison spontané des moins de 25 ans en cas de lésions cervicales, les pourcentages de mort subite du nourrisson en cas de cododo, les effets bénéfiques de l'allaitement...
    3. Dans le dernier, on retrouvait tout ce qui était adapté à tel patient : sa peur des microbes, son envie d'allaiter longtemps, son niveau socio-professionnel...
    Elle nous expliquait que lorsqu'on donne des conseils, quels qu'ils soient, on piochait tantôt dans un tiroir, tantôt dans un autre. En tant que professionnels de santé, nous ne devrions jamais nous servir du tiroir 1 (ou disons plutôt que nous devrions bien le connaître pour ne pas nous laisser parasiter). Le 2 parait idéal pour répondre aux exigences des codes de déontologie. Sauf qu'il est trop restrictif. Ne donner que des études peut très vite obtenir l'effet inverse. Ingrid Bayot nous avait expliqué que l'idéal, c'était d'identifier son tiroir 1, de se nourrir du 2 et d'utiliser le 3 pour l'adapter à CE patient

    Or, que voit-on aujourd'hui ? Un tiroir 2 malmené, un tiroir 1 hypertrophié et un tiroir 3 complètement nié.
    En effet, pour se baser sur des études, il faut encore qu'il y en ait. Ou qu'on donne du crédit à celles qui existent. Or, les études que l'on peut trouver en gynécologie et obstétrique se penchent généralement sur des sujets plus "sérieux" que celui de ces "on m'a dit que".
    • A-t-on déjà vu une étude sur les risques infectieux liés à un la prise d'un bain en post-partum ? En tout cas, je n'en trouve pas lorsque je recherche sur Google Scholar. Par contre, je trouve des articles sur la dépression du post-partum ou les hémorragies. Certes, ce sont des sujets plus "sérieux". Est-ce parce qu'il s'agit de sujets "basiques" de femmes que ces études n'ont pas été menées ? De sujets d'apparence triviaux ? Ou est-ce parce que les professionnels de santé qui mènent ces études sont déconnectés des préoccupations pratiques des femmes ? Ou que ceux qui s'en préoccupent n'ont pas accès à la recherche, comme c'est le cas pour les sages-femmes
    • A-t-on déjà vu des études sur l'impact du cododo ? Sur l'allaitement à la demande ? Sur le risque infectieux lié au port d'un stérilet ? Oui. Là, oui. Et pourtant, les professionnels les négligent. Pourquoi ?  Pourquoi en effet les professionnels de santé refusent-ils de voir ces résultats ? Pourquoi certains professionnels bafouent volontairement les recommandations (comme c'est le cas pour le dépistage des cancers féminins par frottis ou mammographie) ? Parce que leurs croyances, leurs peurs, leurs expériences personnelles viennent parasiter leur jugement. Le fameux tiroir 1.

    Voilà finalement peut-être une triple explication à ces "on m'a dit que" : trop de tiroir 1, une absence de tiroir 2 et un tiroir 3 faussé par une vision patriarcale... Un peu rapide, peut-être... Ou peut-être pas. 
    A votre avis ? 

    jeudi 30 octobre 2014

    Les contes de fées n'existent pas

    Le prince tua le dragon et délivra la princesse. Le royaume fut en fête pendant vingt-et-un jours pour fêter le retour de la princesse perdue. Alors, ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.

    Ou pas...

    L'hôpital, son fronton, ses gens qui passent le temps dans la grisaille d'une journée sans fin : une femme enceinte de son quatrième enfant, rayonnante, son ventre pointant, levant son visage vers ce ciel qui allait bientôt accueillir son enfant près de naître. Arrive une autre femme, les traits fatigués d'une garde non encore terminée, une tasse d'un mauvais café pour lui réchauffer les mains et plus encore.
    Sourire de la première : "Bonjour, vous êtes sage-femme, n'est-ce pas ? Je vous ai croisée lors de la naissance de ma fille, il me semble."
    Le sourire fatigué de la seconde : "Oui, c'est possible. Tout se passe bien pour vous ?"
    Le sourire se transforme en gémissement, mais le regard confirme : tout se passe bien, et elle peut repartir, retourner donner la vie.
    Le sourire se fige, les larmes sont refoulées, amères mais habituelles : "si seulement, elle avait pu, ne serait-ce qu'une seule fois..." Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
    Les contes de fées n'existent pas.


    Une salle d'attente : une femme enceinte de son troisième enfant, rayonnante, son ventre pointant, attendant avec impatience cette première séance de chant prénatal. Arrive une autre femme, toute timide, presque effacée, le ventre plat sur lequel elle pose ses mains avec fébrilité. 
    Sourire de la première : "oh, elle doit être en tout début de grossesse, c'est si mignon, cela me rappelle tellement de choses qu'on oublie si vite quand la grossesse avance."  Et, telle une reine-mère se penchant sur la jeune épousée royale : "Tout se passe bien pour vous ?"
    Sourire timide, yeux qui brillent : "Je viens pour faire de l'acupuncture, on m'a dit que ça marchait parfois et j'ai ma sixième FIV dans quinze jours. C'est ma dernière, alors je mets toutes les chances de mon côté."
    Le sourire se fige, le ventre plein de vie rentre autant qu'il le peut, dans l'espoir de ne pas blesser ce ventre désireux de vie. Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
    Les contes de fées n'existent pas.


    Un banc sur la pelouse, baigné par le timide soleil d'une fin d'hiver : une femme enceinte de son deuxième enfant, rayonnante, son ventre pointant, attendant avec patience son compagnon qui a emmené leur fils faire du toboggan. Arrive une autre femme, l'air perdue, une liasse de papiers à la main.
    Sourire de la première : "Bonjour."
    L'absence de sourire de la seconde : "Non, ce n'est pas un bon jour. On n'y arrivera, je n'y arriverai pas. Pas seule. Ils disent que ça peut marcher avec une FIV. Mais si ça peut marcher ainsi, pourquoi ça marche pas normalement ? Et si ça marchait pas ? Tout ça pour rien ? Est-ce que je pourrai le supporter ? Les piqures ? L'hôpital ? Peut-être est-ce un signe ? Peut-être ne devons-nous pas être parents ? Peut-être serions-nous de mauvais parents ?"
    Le sourire se fige, elle ne bouge plus, tentant de se rendre la plus invisible possible et priant pour que son fils ne l'appelle pas à ce moment précis. Les larmes coulent, une main tend un mouchoir. Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
    Les contes de fées n'existent pas.


    Un salon de thé, une pénombre rassurante : une femme enceinte de son premier enfant, rayonnante, son ventre pointant, découvrant avec toujours autant de plaisir ces premiers signes de vie en elle. Arrive une autre femme, son amie, celle qu'elle attend, celle qui attend.
    Sourire de la première : "Alors ?"
    Sourire las de la seconde : "Alors ils ne savent pas. Pas de raisons, tout est normal. Mais ça ne marche pas... C'est à croire qu'on ne doit pas avoir d'enfants... Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'avons-nous fait qu'il ne fallait pas ? Pourtant, on a essayé vraiment. Quand on nous l'a dit, comme on nous l'a dit. En essayant de pas y penser, comme si c'était possible..."
    Le sourire se fige. La main se crispe sur ce ventre qui vient de tressaillir d'un coup de pied tout ce qu'il y a de vivant. Les larmes coulent et les bras s'ouvrent. Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
    Les contes de fées n'existent pas.


    Une salle de bal, des ballons, des rires et de la joie. Des coupes de champagne que certaines ne boivent pas, enceintes de leurs premiers enfants, rayonnantes, leurs ventres pointant, entourant leur amie en ce joyeux jour de son mariage.
    Sourires des premières : "Bientôt ?"
    Sourire resplendissant de la jeune mariée : "Bientôt mais on n'est pas pressé, on sait que ça peut prendre du temps. Qu'importe, tant que nos enfants grandissent ensemble !"
    Les sourires s'épanouissent, les bras se tendent, les rires fusent : "Oh oui, ils grandiront ensemble !"
    Ou pas.
    Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
    Les contes de fées n'existent pas.

    Putain de contes de fées !

    jeudi 23 octobre 2014

    De la contraception du post-partum

    J'ai assisté il y a quelques jours à un échange sur Twitter sur l'allaitement. Échange entre professionnels de santé concernés et bienveillants, de ces professionnels qui ont abandonné le paternalisme médical pour un respect du patient et de ses choix. Mais pour autant, au cours de cette conversation, une phrase m'a hérissé le poil, m'a mise en colère, sans que sur le moment, je comprenne vraiment pourquoi. 

    Un de ces professionnels rapportait le fait qu'un médecin lui avait dit que la méthode MAMA (méthode de l'allaitement maternel et de l'aménorrhée) en post-partum était suffisante comme moyen de contraception et ceci lui semblait "too much", et que, dire ceci aux accouchées, c'était leur "offrir un billet pour revenir dans neuf mois". J'avoue, ça m'a fait bondir. Vraiment. 

    Mais pourquoi ? Pourquoi une réaction aussi épidermique de ma part ? (alors que, je le redis, c'était une conversation vraiment bienveillante)

    J'ai moi-même prescrit des pilules aux jeunes accouchées pendant des années.
    J'ai moi-même tenu le discours que la MAMA, c'était bien mais pas suffisant. 
    J'ai moi-même dit aux femmes (et à leurs compagnons quand ils étaient présents) que c'était "risqué" de sortir de la maternité sans moyen de contraception. 
    J'ai moi-même prescrit une pilule à bon nombre de couples infertiles au prétexte que "on ne sait jamais".

    De ce fait, bon nombre de mes patientes ont sagement, consciencieusement repris une pilule à peine quatre jours après la naissance de leur enfant. 

    Depuis, j'ai passé le Diplome InterUniversitaire de Lactation Humaine et d'Allaitement Maternel. Je connais donc les critères de la MAMA et son taux d'efficacité.
    Depuis, je fréquente des sites de partages de connaissances en gynécologie et ai appris les recommandations de la HAS et de l'OMS.

    Mais ce n'est pas tant la réalité scientifique des arguments qui m'a fait bondir. Non. C'est encore cette impression, ce sentiment que, là-encore, on imposait quelque chose aux femmes. 

    Depuis la polémique sur les pilules de 3ème et 4ème génération, beaucoup de professionnels de santé (sages-femmes et médecins) se sont remis en cause sur leur manière de prescrire. Beaucoup de patientes ont refusé de se laisser imposer des méthodes qui ne leur convenaient pas. On peut voir aujourd'hui dans les magazines et à nos arrêts de bus des plaquettes vantant le fait que "la meilleure contraception, c'est celle que l'on choisit". On respecte de plus en plus le droit des femmes à disposer de leur corps et à choisir leur méthode de contraception (enfin, restons réalistes, lorsque les femmes ont affaire à des praticiens professionnels et respectueux). 
    Et pourtant, dans le post-partum, on impose le plus souvent aux femmes de recourir à une méthode de contraception. 

    Oui, si la MAMA n'est pas respectée, la femme va récupérer une pleine fécondité. Oui. Mais pour autant est-ce lui donner un "billet pour revenir dans neuf mois ?". Les femmes ne sont pas stupides ou inconscientes. Et pour certaines, une grossesse n'est pas un "risque". D'ailleurs pourquoi utilise-t-on si facilement le terme de "risque" ? Il y a déjà un jugement dans ce terme. Il serait plus juste de dire qu'il existe une potentialité de grossesse sans méthode de contraception. Mais qui sommes-nous pour juger si c'est un risque ou non pour la femme ? 
    C'est un risque si nous lui prescrivons une méthode qui lui entraine une phlébite ou un AVC, oui.
    C'est un risque si une grossesse, rapprochée ou non, met sa vie en danger, oui (et encore, y a-t-il tant de risques à l'heure où la médecine surveille  de si près les femmes et les grossesse ?)
    Mais une absence de contraception, un risque ? Non, juste une augmentation des possibilités. 

    Arrêtons de voir les jeunes accouchées comme des idiotes. 
    Arrêtons de penser qu'elles ne sont pas capables de prendre une décision juste, pour elles.
    Arrêtons de penser à leur place. 

    Devenir mère ne nous rend pas plus bêtes qu'un autre femme, juste plus fatiguées !

    Alors, rendons-leur leur liberté de choix en matière de contraception. Et pour cela, une seule méthode me parait efficace : la parole. Expliquons aux jeunes accouchées, de la même manière que nous le ferions pour le reste de la population féminine, les différentes méthodes à leur disposition. 
    Celles qui sont compatibles avec les caractéristiques du post-partum (risque thrombo-embolique supérieur...). 
    Celles qui sont compatibles avec un allaitement (et qui ne vont donc pas faire baisser la lactation...).
    Celles qui sont compatibles avec leur profil hématologique ou vasculaire. 
    Celles qui sont compatibles avec leurs antécédants familiaux et médicaux. 
    Celles qui sont compatibles avec leur mode de vie (de jeunes mamans fatiguées). 
    Celles qui sont compatibles avec leur tolérance personnelle. 
    Celles qui sont compatibles avec leurs désirs de grossesses.
    Etc...

    Et laissons-les faire leur choix. Quel qu'il soit. Même s'il s'agit de ne pas recourir à une méthode de contraception. Et de revenir dans neuf mois.


    (et que le professionnel de santé qui a émis cette remarque soit remercié, il m'a ouvert les yeux sur mes propres contradictions !)

    Quelques liens : 

    jeudi 9 octobre 2014

    De la globalité de l'accompagnement

    A peine a-t-elle commencé à évoquer sa première grossesse que les larmes lui montent aux yeux. Pourtant, son fils de 6 ans joue presque sagement dans la pièce à côté. 
    Mais les larmes viennent, qu'elle essaie de cacher entre deux sourires. 

    L'accouchement s'est-il mal passé ? Non, hormis le fait qu'elle a été déclenchée à 36 SA sur des anomalies du rythme cardiaque fœtal. 
    Le petit a dû passer quelques jours en néonatologie ? Non, même pas. Petit poids mais en pleine forme.
    Les suites ont été difficiles ? Non. il aura fallu un peu plus de temps pour que le bébé reprenne son poids de naissance mais elle l'a allaité pendant sept mois sans souci.

    Alors, pourquoi de telles larmes alors qu'elle débute une seconde grossesse ?
    Peut-être parce qu'il aura fallu six années pour accepter de revivre "ça".

    Ça ?
    Le parcours d'une grossesse.

    Elle n'a eu aucun suivi régulier pour sa première grossesse. Non pas que ce soit une patiente inattentive, loin de là bien au contraire. Mais les contractions sont arrivées trop tôt dans sa grossesse pour que cela soit mis en place. Elle n'a consulté qu'aux urgences de la maternité de niveau 3. Tellement souvent que personne n'a tilté qu'elle ne voyait personne d'autre qu'eux. 
    Tellement souvent que même la sage-femme qu'elle avait contactée pour faire des séances de préparation à la naissance n'a pas tilté. Séances qui n'ont d'ailleurs pas eu lieu puisque la sage-femme ne se déplaçait pas à domicile et que le repos strict lui avait été prescrit dès 4 mois de grossesse. 
    Tellement souvent que la seconde sage-femme, venue la voir à domicile pour enregistrer le bébé et les contractions, n'a pas tilté, la renvoyant d'ailleurs au bout du premier enregistrement directement aux urgences.
    Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus rien comprendre de ce qui lui arrivait, de ce qu'on lui demandait : "il faut compter vos contractions", "malheureuse, pourquoi compter vos contractions ???", "mais vous ne savez pas combien vous en avez eu ?"... 
    Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus avoir confiance en elle, en eux, en son bébé à naître.
    Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus vouloir revivre cela. 

    Mais la vie est plus forte, et le désir d'un autre enfant est revenu, lui tordant le ventre de peur, faisant systématiquement monter en elle des larmes intarissables. 

    Alors, elle a souhaité autre chose pour cette grossesse. 
    Elle a débuté un suivi avec un obstétricien du CHU une semaine après avoir fait son test de grossesse. 
    En parallèle, elle a continué à voir son gynécologue qui consulte en clinique. 
    Elle est suivie, elle a des référents. 
    Elle envisage de faire de la préparation à la naissance avec une sage-femme et commence à se renseigner sur ce qui est possible... et sur la disponibilité des sages-femmes pour venir à domicile si nécessaire.

    Mais les larmes continuent pourtant de couler. 

    C'est à ce moment-là que j'entre dans la partie. Non pas comme une sage-femme puisque je suis toujours autant désœuvrée, mais comme amie et conseillère. Je l'oriente alors vers une sage-femme que je connais bien, spécialisée dans les troubles de la périnatalité et qui exerce au CHU. Le contact se passe très bien, les larmes coulent mais les mots, les maux, sortent. 

    Sauf que le monde médical lui impose un choix : hôpital ou clinique ? Lequel des deux obstétriciens ? Elle sait que les prises en charge sont différentes mais elle n'arrive pas à se décider, elle tremble, elle doute : "et si ce bébé était de nouveau prématuré ? Et si cette grossesse était aussi délicate ? Où serait-elle le mieux prise en charge ? Au CHU qui sait si bien gérer la pathologie ? Dans cette clinique où on privilégie l'accompagnement humain ? Sauf que la sage-femme qu'elle voit au CHU n'y sera pas..." Elle doute, elle tremble et les larmes coulent, intarissables.

    Elle entame son sixième mois et n'a toujours pas choisi... et les larmes coulent toujours.

    Que se serait-il passé si cette femme n'avait eu qu'un seul référent pour sa première grossesse ? Une sage-femme, un obstétricien qui l'aurait connu, qu'elle aurait connu ? 
    Que se serait-il passé si cette femme avait eu un "praticien-ressource" qui aurait pu répondre à ses questions, entendre ses craintes et lui tenir un discours unique et adapté à ce qu'elle vivait ?
    Que se serait-il passé si cette femme n'étaient pas tant passé aux urgences, n'avaient pas rencontré autant de professionnels de santé différents ? 
    Que se serait-il passé si cette femme avait eu confiance en elle, en celui qui aurait suivi sa grossesse, en son bébé à naître ? 

    Quand le monde médical de la naissance prendra-t-il donc conscience de l'importance d'un suivi global ? 
     
    Ce qu'il se passe au cours d'une grossesse est tellement important, tellement créateur pour les femmes... Autant que cela soit créateur de force plutôt que de larmes... intarissables.

    jeudi 18 septembre 2014

    Dans leur bulle...

    On m'a appris beaucoup de choses en école de sages-femmes, sur la femme, sur l'enfant, sur la mécanique de l'accouchement, sur le droit et la psychologie... Beaucoup de "théorie" notée sur des feuilles dans une salle de cours. Mais on ne m'a pas appris à accompagner les femmes en travail. 

    Ça, nous "l'apprenions" au cours de nos différents stages, en nous nourrissant de la manière de travailler des sages-femmes diplômées qui nous encadraient. Si certains accompagnements nous paraissaient plus délicats, tels les accompagnements de grossesses interrompues ou devant l'être, ceux des femmes "classiques" finissaient par se classer selon deux catégories : 
    - les femmes sous péri, qu'il fallait "divertir" : les rassurer évidemment, mais la douleur ayant été abolie, il s'agissait surtout de les aider à "passer le temps". Parler de tout et de rien, du beau temps, du dernier film vu au ciné, de la couleur choisie pour la peinture de la chambre... Mon petit plus à moi : j'aimais les faire rire. Alors, je faisais le boute-en-train. Et les femmes étaient très contentes. Je ne compte pas le nombre de faire-part de naissance et de boites de chocolats reçus pendant mes études et le début de ma carrière.
    - les femmes sans péri, qu'il fallait "soutenir" dans leur douleur : leur tenir la main, leur chuchoter des encouragements, les ramener vers nous lorsqu'elles s'échappaient de notre réalité... Là aussi, je mettais en avant mon côté clown pour transformer la peine en rire, les larmes de douleur en larmes de joie. J'ai également assisté à bon nombre de naissances mouvementées où "le boulot de la sage-femme, c'est de cadrer la femme pour pas qu'elle parte en live". 

    Je suis ainsi devenue sage-femme, nourrie de cette simple dichotomie et prenant en charge les femmes avec toute ma meilleure volonté, mon envie de vraiment les aider... mais en passant complètement à côté de la "vérité" de l'accouchement. 

    Je n'ai découvert que plusieurs années plus tard le rôle des hormones dans l'accouchement, et notamment l'opposition entre l'ocytocine et l'adrénaline.
    En effet, l'ocytocine, cette hormone qui donne à la fois des contractions utérines, permet l’éjection du lait et la création du lien mère-enfant est inhibée par la sécrétion d'adrénaline, cette hormone qui intervient dès que la femme utilise son cortex.
    Or, que faisais-je d'autre que de stimuler leur cortex en "papotant" ainsi avec elle, en les faisant rire,  en les "recadrant" ?
    Je passais donc complètement à côté de ce que j'aurais réellement dû faire pour elles.

    Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle, leur monde, concentrée sur sur ce qui se passe en elle et qui tient plus de l'instinct et de l'animalité que de la réflexion.
    Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle pour permettre cette sécrétion d'ocytocine qui va leur permettre d'accoucher physiologiquement grâce à une activité utérine efficace.
    Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle pour bénéficier d'un effet secondaire de la sécrétion d'ocytocine : la sécrétion également d'endorphines, ces hormones qui permettent de supporter la douleur.
    Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle pour permettre au corps de faire ce pour quoi il est fait et qu'il sait si bien faire : donner la vie.
    Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle pour ne pas se laisser envahir par la peur, par les "on-dit".
    Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle.

    Alors, que devons-nous faire pour permettre aux femmes de demeurer dans cette bulle ?
    Il ne s'agit pas évidemment de les laisser seules, de ne pas leur parler. Non, il s'agit de le faire "à bon escient". Trouver les mots (ou l'absence de mots). Être une présence attentive et bienveillante, qui saura leur donner l'assurance qu'elles peuvent y arriver, qu'elles ont en elles la capacité d'y arriver. Être là pour garder la peur et les complications à distance... Et mettre le cortex hors-service pour éviter qu'il ne vienne éclater la bulle.

    Parce que quand la bulle éclate, il n'est pas toujours facile de la reconstruire. Le doute s'installe. La peur s'insinue. La machinerie si bien pensée du corps féminin s'enraye. Et il n'y a parfois pas d'autre solution que la médicalisation pour prendre le relais, avec toutes les conséquences que cela entraine.

    Alors, mes consœurs et confrères sages-femmes, mes collègues infirmiers et aide-soignants, puéricultrices et auxiliaires, mesdames et messieurs les obstétriciens, anesthésistes et pédiatres, pensez-y. (Et ce, quand bien même cette femme en travail est également une sage-femme désœuvrée  ;-)  )


    P. S. : Et plus encore que cette bienveillance, cette présence que j'appelle de mes vœux, il y a aujourd'hui des moyens pour offrir aux femmes ce respect de leur bulle : en développant l'accompagnement global et l'accès au plateau technique pour les sages-femmes, en ouvrant des maisons de naissance, en respectant le choix d'accoucher à domicile...
    Limiter les intervenants pour limiter les interférences possibles : une femme/une sage-femme comme nous le demandons depuis des mois et des mois.
    Accoucher dans un lieu choisi par la femme, un lieu qu'elle pourrait investir et où elle se sentirait libre de créer sa bulle, pour mettre son enfant au monde, qu'il s'agisse d'une structure hospitalière, son salon, une salle nature ou une maison de naissance.
    Humaniser les salles d'accouchement des maternités en cachant tout ce qui peut faire peur... et stimuler ce foutu cortex. Diminuer les bruits parasites, que ce soient ceux des appareils de surveillance ou de la ventilation... qui vont stimuler ce foutu cortex. Ne pas laisser entrer la lumière mais préserver un cocon d'obscurité, d'intimité... pour ne pas stimuler ce foutu cortex.

    Il ne s'agit parfois que d'un peu de bonne volonté... et d'une prise de conscience de ce qui se joue réellement.


    lundi 1 septembre 2014

    Les temps de la grossesse

    Une remarque qui m'est venue il y a peu, une de ces nuits où je ne dormais pas et essayais de prendre le frais dans le salon : la grossesse est comme une bulle temporelle dans la vie d'une femme.

    Je m'explique.

    Si en réalité, elle ne comporte que neuf mois et un nombre très précis de jours, elle s'écoule sur des rythmes totalement différents, qui donnent parfois l'impression de subir de véritables distorsions temporelles.

    Il y a le temps de l'attente et de l'espoir, ce temps d'avant-même la grossesse, ce temps où on attend les signes, ces petits messages envoyés par le corps pour nous informer que oui, peut-être, la magie aurait pris. C'est un temps à la fois très lent et très rapide. Très rapide si vous avez la chance de vite concevoir (ce qui finalement peut être assez déroutant, parce qu'après tout, c'est une chose de savoir que l'on veut un bébé, c'en est une autre de se rendre compte que ce bébé va vraiment arriver), très lent si ce n'est évidemment pas le cas, d'une lenteur parfois faite de souffrance et de découragement.
    Mais quel que soit sa réelle durée, ce temps est malgré le plus souvent lent, avec décompte des jours, écoute de son corps et alternance d'espoir et de découragement.

    Il y a ensuite le temps de la confirmation, ce temps marqué par plus ou moins de signes plus ou moins agréables, mais qui sont malgré tout les bienvenus car présence tangible d'une réalité en route. Mais c'est là aussi un temps finalement très lent, trop lent parfois, marqué par un malaise à la fois dans son corps et parfois dans son esprit : et si je ressentais tout cela mais qu'en fait, il n'y avait rien ? Heureusement, ce temps se termine généralement lorsque le petit être se décide à faire ressentir sa présence par de vrais coups bien perceptibles... et qui d'ailleurs apparaissent souvent lorsque les signes désagréables s'estompent.

    Vient ensuite le temps de la bulle dorée, celle vantée dans tous les magazines, ce fameux deuxième trimestre durant lequel nous autres, femmes enceintes, sommes censées nous éclater de toutes les manières possibles et inimaginables. Bon, alors, oui, certes, ça peut être le cas. Ne serait-ce que parce la communication avec le bébé se fait de plus en plus forte, de plus en plus fréquente. Peut-être aussi parce désormais, notre état est plus que visible et nous permet de profiter des quelques avantages (que ce soit place dans le bus ou regards flatteurs). que la grossesse nous octroie. Ne soyons pas non plus complètement utopistes, il y a toujours des petits maux présents mais il est vrai que c'est malgré tout la plus belle période de la grossesse. Et c'est probablement pour cela qu'elle passe si vite ! Le temps semble s'accélérer sans que l'on s'en rende compte, parfois si rapide qu'on atteint le troisième trimestre sans avoir pu ou su profiter de cette parenthèse enchantée.

    Le troisième trimestre pointe le bout de son nez et avec lui, le temps de l'apaisement. De ma propre et petite expérience, j'ai l'impression que c'est le temps qui se rapproche le plus du temps réel, de celui du "vrai" temps. La communication avec bébé est toujours là mais on lui laisse le temps de murir, de la même manière qu'on se laisse à nous le temps de nous préparer à ce rôle de Maman qui va bientôt venir bouleverser nos vies. On prend le temps de préparer la chambre, la valise. On se pose avec le papa pour faire des projections d'avenir. Les désagréments de toute fin de grossesse (sciatique, douleurs dorsales, mauvaises nuits) font qu'on n'a pas forcément envie de appesantir sur cette période mais sans pour autant avoir envie de lui donner un coup d'accélérateur. Il y a malgré tout beaucoup trop d'interrogations encore présentes pour qu'on ne souhaite pas garder un rythme calme. C'est le temps simple du présent.

    Et finalement, arrive le temps de l'expectative (du terme "expectante", terme médical pour désigner les femmes en attente du début du travail). Pour moi, c'est le temps du plus-que-présent. Ce temps qui semble durer une éternité car chaque minute, chaque jour, chaque nuit se passe dans l'attente du petit truc qui viendra tout bouleverser. Ce dernier mois semble tirer en longueur, même si pourtant, c'est en réalité un mois très court, à peine 4 semaines quand certains mois en font 5. Mais chacune d'entre elles semble une éternité. D'autant plus qu'à ce stade, l'envie d'accoucher surpasse tout le reste, tous les appréhensions, tout ce qui n'a pas encore été fait. C'est le temps de l'attente armée (encore un terme bien de chez nous, l' "expectative armée", celle qui traduit clairement qu'à ce moment-là, nous sommes prêtes à tout !) Peut-être devrait-on en profiter un peu plus, se reposer, profiter des derniers moments à deux ou à trois ou plus. C'est ce qu'on se dit, lorsqu'on se pose et qu'on essaye de rationaliser tout ça. Mais le fait-on vraiment ? Non, n'est-ce pas ?

    jeudi 14 août 2014

    Du recueil du consentement éclairé

    Il y a peu, je me suis rappelée d'une phrase que j'ai employée régulièrement durant ma carrière professionnelle, que ce soit étudiante ou plus tard en tant que sage-femme diplômée.

    "Si c'est une décision médicale, vous n'aurez pas votre mot à dire."

    Je me revois très bien dire cela en cours de préparation à la naissance, notamment lorsqu'on évoquait la césarienne ou l'épisiotomie. Je me rappelle très bien du contexte : les femmes assises sur leur tapis, moi sur la chaise ou plus souvent sur un tapis face à elle, leur expliquant que c'était des gestes que l'on ne pratiquait qu'en cas d'extrême nécessité. 
    Pour l'épisiotomie, je leur expliquais la politique de la maison, à savoir qu'elle n'était pratiquée que si cela nous paraissait obligatoire : "si nous nous posons la question de savoir s'il en faut une, nous ne coupons pas. Nous ne le faisons que si nous ne posons même pas la question." Et d'expliquer ensuite qu'il s'agissait généralement de cas de nécessité d'extraction rapide de l'enfant ou de périnée tellement tonique que rien ne pourrait l'assouplir. Et je terminais par cette phrase : "Si c'est une décision médicale, vous n'aurez pas votre mot à dire."
    Pour la césarienne, j'essayais de les préparer à la situation d'urgence, celle qui fait que parfois - souvent - on n'a pas/ne prend pas le temps d'expliquer à la femme ce qui se passe.  Je leur disais bien que dans la plupart des cas, une césarienne ne se décidait pas dans la minute et que l'on pouvait comprendre au cours du travail si une césarienne serait nécessaire ou pas. Mais je ne leur cachais pas que parfois, en cas d'urgence vitale, la césarienne pouvait arriver sans qu'aucun signe ne l'ait laissé présager. J'insistais bien sur le fait qu'après, elles ne devaient pas hésiter à en parler avec le personnel médical, afin qu'elles comprennent réellement ce qui c'était passé et pourquoi une telle décision avait été prise. Et évidemment, je terminais par un : "Si c'est une décision médicale, vous n'aurez pas votre mot à dire."

    A l'époque, je me pensais une sage-femme bienveillante, bientraitante, totalement respectueuse de mes patientes. 

    Aujourd'hui, je me rends compte que j'avais complètement occulté une notion : celle du consentement éclairé. A aucun moment, je ne disais aux femmes qu'elles pouvaient refuser ces actes. Oui, même une césarienne.  

    Deux articles de loi mettent pourtant cette notion de consentement en lumière.

    Art R 4127-36 du Code de santé publique : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité ». 

    «LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé Art. L. 1111-4. - Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
    « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables.
    « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
    « Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.
    « Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables.
    « L'examen d'une personne malade dans le cadre d'un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre.
    « Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d'interventions.

      
    Et Dieu sait que j'ai bouffé du droit en dernière année d'école de sages-femmes. Alors, pourquoi cela ne paraissait-il pas anormal de ne pas l'évoquer, de ne même carrément pas y penser ? Pourquoi cela me paraissait-il tellement normal que, sous prétexte qu'un médecin ou une sage-femme avait posé une indication médicale, la patiente n'avait pas son mot à dire ?

    Quand j'y repense, je suis atterrée.  Mais je sais qu'aujourd'hui, jamais je ne tiendrai un tel discours. Cela me console. Un peu. 

    Mais cela me consolerait beaucoup si je savais ne pas être la seule à avoir pensé comme ça, à continuer à penser comme cela. 

    Lorsque la polémique sur le "point du mari" était au plus fort, de nombreux débats, fort intéressants au demeurant, ont eu lieu entre sages-femmes, grâce aux réseaux sociaux. Et cela a mis en lumière nos différences d'opinion sur ce sujet du consentement. Tous et toutes, nous sommes tombés d'accord sur le fait que cette notion était primordiale et qu'elle devait toujours être respectée. Mais, oui, mais, nombre d'entre nous ont toutefois affirmé qu'il y avait des moments où ce recueil était impossible : notamment dans le cas de l'épisiotomie. "Mais comment voudriez-vous que nous prenions cinq minutes pour expliquer les avantages et les inconvénients de ce geste lorsqu'il faut sortir l'enfant ?" Oui, certes. N'empêche. 
    Je ne vais pas rentrer dans la discussion sur "pour ou contre l'épisiotomie" car ce n'est pas le cœur de ce billet mais bien insister sur ce que cela laisse entrevoir : le recueil du consentement, même s'il parait une évidence, n'est finalement pas si facile que ça à accepter pour certains d'entre nous. Alors que tous et toutes nous savons qu'il est un préalable obligatoire à tout geste médical. 

    Il semblerait qu'il y ait dans l'esprit des soignants une hiérarchisation des soins qui permettent de remettre en cause ce consentement. 
    Demander un consentement pour rompre une poche des eaux est très facilement envisageable. Pour autant, qu'une femme refuse la pose d'une voie veineuse est déjà plus problématique. Idem pour l’administration de syntocinon. Et nous ne touchons pas encore aux actes vitaux comme une césarienne ou une épisiotomie pour détresse fœtale. Dans ces cas-là, cela parait tout bonnement inenvisageable. C'est pourtant en totale contradiction avec les textes de loi : "Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables.
    « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment."
    Les textes sont clairs, on parle de tout faire pour convaincre la personne mais pour autant, son consentement reste primordial.

    Alors pourquoi ?

    Parce qu'aucun d'entre nous ne peut s'imaginer dans la situation de voir mourir une femme ou un enfant sans rien faire pour l'empêcher ? Parce qu'aucun d'entre nous ne peut imaginer que le consentement d'une femme soit prioritaire à la survie de son enfant à naitre ? Parce que nous sommes tiraillés entre deux être humains à sauver ?
    Parce qu'aucun d'entre nous ne peut imaginer que ce qui nous parait juste ne le soit pas réellement ? 
    Parce qu'aucun d'entre nous ne peut imaginer que notre décision soit remise en doute par quelqu'un d'autre, à fortiori quelqu'un qui n'ait aucune notion médicale ? 
    Parce qu'aucun d'entre nous ne peut imaginer que...

    De nombreuses raisons peuvent être invoquées, qui ont probablement toutes une part dans notre inconscient personnel et/ou collectif. Que ce soit au niveau de l'impuissance à laquelle cela nous oblige, de l'image toute-puissante que cela écorne, des raisons même pour lesquelles nous avons entrepris des études de médecine. Cette notion du respect du consentement me semble dépasser le simple cadre de la loi et toucher plus à notre identité profonde qu'autre chose. 

    Le problème évidemment est que ce qui, finalement, devait être traité par une réflexion personnelle, va empiéter sur les droits de quelqu'un d'autre, avec toutes les conséquences que cela peut avoir, que ce soit d'un point de vue juridique, médical, éthique, psychologique... Il suffit de penser à toutes ces femmes qui font des dépressions du post-partum alors que leur accouchement a été plus que normal du point de vue du personnel médical. Il y a pourtant bien une raison. 

    Il est temps que les professionnels de santé se penchent réellement sur cette notion du consentement, sur ce que cela évoque en eux, afin de se mettre en adéquation avec la loi et les volontés de leurs patients. 


    Quelques articles pour continuer la réflexion : 

    mercredi 18 juin 2014

    De l'(a)normalité

    La semaine dernière, j'ai pu assister à une séance en version longue du film « Entre leurs mains », ce film magnifique sur l'accouchement à domicile et plus généralement l'accouchement physiologique. Ce fut une expérience très enrichissante pour moi, d'abord eu égard à la qualité du film évidemment mais également de par les personnes qui m'entouraient. En effet, je me suis retrouvée le temps d'une soirée entourée quasi uniquement de femmes qui avaient accouché à domicile (ou étaient sur le point de le faire). Moi qui ai plus l'habitude de fréquenter les femmes en milieu hospitalier, j'avais l'impression d'être E.T. tout d'un coup.

    Après cette soirée, me retrouver plongée de nouveau dans la « normalité » de l'hypermédicalisation vue et revue sur les réseaux sociaux a été comme une gifle pour moi. Comment les femmes peuvent-elles se scinder en deux groupes si distincts et opposés ???

    Peut-être parce que certaines se sont laissées portées par le poids des « transmissions », de ce qui est nous est raconté par nos mères, notre culture et nos réseaux sociaux, quand d'autres ont appris à s'en libérer ?

    En effet, s'il y a une chose qui nous « poursuit » depuis la nuit des temps, c'est bien une vision doloriste et dangereuse de l'accouchement.
    Notre berceau judéo-chrétien nous a appris que toute naissance était une souffrance (le fameux "tu enfanteras dans la douleur" de la Genèse) ; les femmes ont également longtemps vécu l'enfantement comme leur guerre personnelle (celle à laquelle on est fière d'avoir survécu) ; d'autres le vivaient comme le prix à payer pour avoir un enfant en bonne santé... Beaucoup de notions qui ont concouru à faire perdurer cette image doloriste de l'accouchement. L'anesthésie est ensuite arrivée et, si elle a permis de supprimer la douleur, elle n'a pour autant pas fait disparaître la crainte de la douleur. Au contraire, l'anesthésie en se rendant indispensable pour ne pas succomber à la douleur n'a fait que renforcer cette image d'une douleur insurmontable. La « transmission » était donc celle d'un phénomène horriblement douloureux.
    Et qui peut tuer. Les récits de femmes mortes en couche sont légion et dans l'esprit des femmes, la peur de mourir en donnant la vie est profondément ancrée.
    S'est ajouté à cela une vision différente de l'enfant. Longtemps, lorsque la planification des naissances n'existait pas, l'enfant était vu comme une force de travail, un soutien pour la vieillesse. Il mourait facilement en couche ou dans les premières années mais pouvait « aisément » être remplacé par les enfants suivants. Avec la contraception est arrivée la notion d'enfant désiré, enfant voulu et aimé avant même sa naissance. Sa mort au cours de l'accouchement devenait donc inconcevable, inenvisageable, angoisse devenue insupportable.
    Beaucoup de femmes d'aujourd'hui portent donc en elles cette double vision de l'accouchement : un événement douloureusement insurmontable et pouvant à tout moment entraîner la mort de leur enfant ou d'elle-même. Voici la transmission de la naissance aujourd'hui, profondément ancrée dans le cœur des femmes, celle que nous rencontrons si souvent, celle qui nous est racontée par nos grands-mères et mères, celle qui est reprise dans les différentes émissions de télé-réalité ou de fictions, dans les billets humoristiques des blogueurs, dans les sketch des humoristes. C'est également celle qui est transmise par le milieu médical d'aujourd'hui.
    Et c'est parce que les femmes aujourd'hui n'ont que ces images en tête, que parce que le milieu médical vient enrichir leurs angoisses en hypermédicalisant, en n'insistant que sur les risques et non les bénéfices, que désormais, la « normalité » semble du côté de la médicalisation.


    Mais alors, comment expliquer cette scission dans la population des parturientes ? Comment expliquer cette angoisse sous-jacente dans un groupe quand au contraire, d'autres femmes vivent cette étape de la naissance dans la sérénité, sans crainte et sans penser nécessiter cette médicalisation de la naissance ?


    Peut-être parce qu'elles n'ont pas oublié une chose : il y a au milieu de tout ça une variable, ou plutôt devrais-je dire une invariable, c'est l'accouchement en lui-même. Sa mécanique n'a pas changé au cours des millénaires. Il s'agit toujours de l'expulsion d'un enfant du corps de sa mère, expulsion mise en œuvre par différents jeux d'hormones et de contractions musculaires, expulsion qui nécessite une part active de la mère qui se mobilise pour ouvrir un chemin à son enfant, ainsi qu'une part passive de l'enfant qui va se laisser guider par ces différents mouvements pour accomplir son voyage dans le bassin maternel.
    Elles ont également dépassé cette notion de peur, de douleur, pour en faire une alliée, non plus une punition mais un signal de l'avancée du miracle qui est en train de se dérouler dans leur corps.
    Elles ont appris que si la mort veillait, elle n'était pas la seule et que les sages-femmes étaient là pour lui barrer la route.


    Alors, finalement, où est la normalité ? Plutôt dans la douleur et la mort ou dans la force et la vie ? Et comment permettre à ces deux groupes de se rencontrer ?


    Peut-être déjà en modifiant ce qu'elles se transmettent ? En commençant par voir un film comme « Entre leurs mains » ? En quittant le cercle des informations toujours alarmantes pour se plonger dans d'autres plus sereines ? En reprenant confiance en elles, c'est sûr. 

    Les femmes ont un rôle à jouer pour y parvenir. La société également en acceptant de remettre en cause la vision qu'elle véhicule de l'accouchement. Le monde médical encore plus en pesant « réellement » les bénéfices-risques de leur pratique.



    Pour aller plus loin : 

    mardi 10 juin 2014

    Faillible

    Elle m'attend tout sourire dans la salle de consultation, assise sur la chaise à côté du bureau, son dossier personnel sur les genoux et le dossier médical de la maternité qui m'attend lui, sagement, sur le bureau. 

    Je rentre avec le sourire, je me présente, lui demande comment elle va et ce qui l'amène en ces lieux en cette belle journée d'été. Elle me parle de ces contractions débutantes qui commencent à lui faire mal mais ne sont pas encore très rapprochées. C'est son premier, elle ne sait pas très bien si c'est le bon moment. Je la rassure d'un sourire et lui dis que nous allons faire le point ensemble. 

    Mais avant, je vais jeter un oeil à son dossier, voir s'il y a des infos dont je devrais avoir connaissance pour la prendre en charge du mieux possible. J'ouvre la première page, lis cette unique phrase inscrite en rouge et là, mon coeur et mon esprit se ferme : je ne peux pas, je ne pourrai pas m'occuper d'elle ! 

    Elle ne se rend compte de rien, toute concentrée qu'elle est sur une contraction qui vient en elle mais il y a un cataclysme en moi. 

    Dans ma carrière, je me suis indifféremment occupée de toutes les femmes qui m'ont été confiées, des jeunes et des moins jeunes, des pauvres et des riches, des "propres" et des "moins propres", quelle que soit leur couleur de peau ou leurs convictions politiques ou religieuses. Mais elle, non, je ne pourrai pas. Cette unique phrase en rouge a verrouillé mon cœur, me plongeant dans une blessure très vieille mais pas encore cicatrisée et qui ne le sera peut-être jamais.

    Ce n'est pas sa faute, ce n'est pas la mienne. Juste celle d'un passé, d'une souffrance d'enfance qui a balayé ma vie et m'a propulsée dans le monde des adultes beaucoup trop tôt. 
    Une peine qui, malgré mon professionnalisme et mon désir réel d'aider cette patiente, est bien trop vive encore. Je ne pourrai pas l'aider. Je risque au contraire de lui faire du mal, malgré moi. Elle ne mérite pas ça. Elle n'a rien fait pour ça. Elle n'est qu'une jeune femme sur le point de devenir mère et qui a fait un choix personnel. Un choix que je ne devrais pas juger. Un choix qui ne devrait pas avoir d'impact sur ce qu'elle va vivre dans les heures ou les jours qui viennent. 

    Mais je ne le peux pas. C'est plus fort que moi. 

    Alors, tentant de conserver malgré tout un sourire avenant, je quitte la pièce, tremblant de la tête aux pieds et vais transmettre le dossier à ma collègue. Collègue qui connait mon histoire, mon vécu et qui sans un mot mais avec un sourire comprend ce qui se passe. Et qui va rencontrer sa nouvelle patiente. 

    Lorsqu'on est un professionnel de santé, on se doit de rester neutre, de prendre soin de chacun de ses patients en leur offrant le maximum, dans le respect des dernières connaissances de la médecine. 

    Lorsqu'on est un professionnel de santé, on se doit d'entendre les demandes des patients et d'y répondre avec objectivité, sans que nos propres sentiments, avis personnel ou vécu n'interviennent dans cette prise en charge. 

    Lorsqu'on est un professionnel de santé, on se doit de prendre en charge tous les patients avec le même professionnalisme, sans distinction pour leur couleur de peau, leur religion, leur conviction politique, leur compte en banque. 

    Mais être un professionnel de santé, c'est également être un être humain, avec ses failles et ses faiblesses. 
    Alors, être un professionnel de santé, c'est dans ces cas-là, savoir s'arrêter avant de mal faire et passer la main. 

    Parce que si nous sommes faillibles, nos patients n'ont pas pour autant à en pâtir.

    lundi 2 juin 2014

    Une journée si ordinaire...

    La garde débute à 7h30 dans la Grande Usine. La garde pour les sages-femmes, pas la journée des femmes qui, elle, a commencé bien plus tôt.

    5h du matin pour les patientes césarisées de la veille, les dames nécessitant un bilan sanguin. 5h du matin, c'est l'heure des retraits de sondes urinaires, l'heure des prises de sang dont les résultats doivent OBLIGATOIREMENT être récupérés avant le staff de 8h. 
    5h du matin, c'est également l'heure où les bébés dorment enfin, après parfois de nombreuses heures de pleurs, de marche dans le couloir, de câlins et de mots apaisants pour ces petits êtres perdus dans ce nouveau monde.
    5h du matin, c'est également l'heure où les mamans dorment enfin du sommeil du juste, du sommeil réparateur, de ce sommeil qui est si indispensable pour assurer les journées et les nuits qui les attendent. 
    Mais qu'importe, 5h du matin, c'est l'heure des retraits des sondes urinaires et des prises de sang. 

    6h20 du matin, c'est ensuite l'heure des petits-déjeuner. Plus ou moins copieux en fonction du nombre de patientes dans le service ce jour-là, toujours à une heure où les femmes et les enfants n'ont qu'une envie : dormir !

    Puis à partir de 7h, c'est la valse des intervenants : le ménage des chambres, la réfection des lits, le sacro-saint bain du bébé. Dois-je répéter que c'est toujours l'heure où femmes et enfants ne demandent qu'une chose : dormir ?

    A 8h, le staff débute pour les sages-femmes, médecins, internes, étudiants... Etude des partogrammes : le travail a-t-il été harmonieux, pas trop long, pas trop court ? Pourquoi le syntocinon n'a-t-il pas été branché plus tôt ? Pourquoi a-t-on attendu que la péridurale soit posée pour rompre la poche des eaux ? Pourquoi a-t-elle poussé aussi longtemps ? ... Beaucoup de questions dont finalement les réponses importent peu. De toute façon, les sages-femmes de la nuit sont déjà parties dormir, comment pourraient-elles y répondre ? 

    8h30, le tour de garde avec l'obstétricien, uniquement pour les patientes présentant des pathologies. Vite fait, bien, fait, le médecin, l'interne, l'externe, la sage-femme, l'élève sage-femme, la cadre du service. Tout ce petit monde pour regarder une cicatrice, palper un utérus... et analyser les résultats des prises de sang. 

    9h, vient le ballet de la sage-femme, qui doit trouver sa place dans la chorégraphie des intervenants : le sol est mouillé ? Je repasserai plus tard. Vous donnez le bain ? Je repasserai plus tard. Vous donnez le sein ? Je repasserai plus tard... A moins que, quoi, vous aimeriez que je regarde la tétée ? Attendez, je rentre mon chariot-char d'asseau, je regarde. Vous êtes sous la douche ? Vous en avez pour longtemps ? Je vous attends ou vous préférez que je repasse plus tard ? 
    C'est bon, vous êtes prête, je peux venir vous examiner ? Non, non, ne vous déshabillez pas complètement, je vais d'abord prendre votre tension puis seulement après je regarderai votre poitrine. Votre slip ? oui, voilà, maintenant, mais vous pouvez remettre votre soutien-gorge d'abord, il n'y a pas d'urgence. 
    Ah, désolée, le téléphone sonne. "Allo ?" d'une main quand l'autre tente de rabattre un drap pudiquement, le temps d'une conversation qui ne devrait pas avoir lieu dans cette chambre. "Je reviens, j'essaie de faire vite". Pas assez vite, "où en étions-nous ?".
    Des douleurs ? des questions ? des craintes ? je vous écoute. Enfin, si ce téléphone veut bien arrêter de sonner. 
    L'allaitement ? oui, appelez-moi à la prochaine tétée, on verra ensemble pourquoi vous avez mal, comment prend ce petit gourmand. 
    Vous souhaitez sortir aujourd'hui ?  Comment est la courbe de poids ? Vous vous sentez prête à rentrer chez vous ? Vous connaissez la rééducation du périnée ? Vous savez qui consulter pour votre visite post-natale ? Vous désirez un moyen de contraception ? Ah, vous souhaitez que j'en parle avec votre compagnon ? D'accord, appelez-moi quand il sera là.
    Je dois faire une prise de sang à votre bébé. Avez-vous des questions sur les examens qui vont être faits ? Avez-vous signé la feuille de consentement ? Tenez, on va lui mettre les mains bien au chaud, comme ça, la prise de sang sera très facile. Est-ce que ça va lui faire mal ? Peut-être un peu, mais on va lui donner du sucre à boire et vous verrez, avec notre technique, ça ne dure que quelques secondes. 

    Quoi ? La dame a fait un malaise dans la douche ?? Je vous laisse madame, n'hésitez pas à m'appelez si nécessaire. Courir dans les couloirs. Retrouver la patiente blanche comme un linge : "trop fatiguée, il a pleuré toute la nuit, je suis épuisée." Allongez-vous madame, voilà, je vous prends la tension. Oui, c'est dur les nuits. Oui, parfois, on se sent impuissantes. N'hésitez pas à lui dire. Il a du mal à prendre le sein ? Appelez-nous, on vous aidera. Mais oui, vous avez le droit de pleurer. Mais oui, ce n'est pas comme vous l'aviez imaginé. Vous serez aidée à la maison ? Vous êtes entourée ? N'hésitez pas à passer la main si vous sentez que vous en avez besoin. Passer au biberon serait plus simple ? C'est vous qui voyez mais vous savez, ce qui est difficile, ce n'est pas d'allaiter ou non, c'est surtout de vivre au rythme d'un nouveau-né. Courage, cela ne dure pas. Toute chose a un fin même si là, aujourd'hui, vous avez l'impression que le temps s'est arrêté. Vous verrez, chez vous, ce sera déjà différent. Vous pourrez prendre vos marques, ne pas être tributaire du rythme de l'hôpital ? Vous avez une sage-femme libérale qui puisse passer vous voir à votre retour ? Souhaitez-vous que je demande à une puéricultrice de la PMI de passer également ?
    Ah, on m'appelle. Je dois vous laissez, cela va aller ? Je repasse vous voir dans l'après-midi, d'accord ?

    Le bébé à piquer ? Ah oui, j'arrive. 
    Le labo au téléphone ? Ah oui, j'arrive. 
    La psy qui souhaite me parler ? Ah oui, j'arrive. 
    La PMI en ligne ? Ah oui, j'arrive. 
    Le 115 pour l'hébergement d'urgence ? Ah oui, j'arrive. 
    La dame à descendre au bloc opératoire ? Les brancardiers ne sont pas là ? Ah oui, j'arrive. 
    Les papiers à donner pour que la dame rentre chez elle et que les filles puissent refaire sa chambre, ça bouchonne en salle d'accouchement ? Ah oui, j'arrive. 
    La dame en réa dont il faut palper l'utérus ? Ah oui, j'arrive.
    Le mari de la dame est là, c'est bon pour la traduction, tu viens ? Ah oui, j'arrive. 
    Le self ferme dans 10 min, il est 13h50, tu viens manger ? Ah oui, j'arrive... ou pas.

    Le staff de 14h avec les auxiliaires de puériculture, la psychologue, l'assistante sociale, la cadre du service. La courbe de poids n'est pas bonne ? Elle te parait jaune ? Le bilan n'est pas bon ? Elle veut passer au biberon ? Elle tire son lait et elle a mal ? Comment va le petit en néonat ? La maman pleure ? Elle veut rester un jour de plus pour assister au baptême du bébé en réa ? Ils vont arrêter les soins dans deux jours et elle doit partir demain ? La pouponnière passera prendre le petit bébé X demain ? La maman est-elle prête ? Le psy est passé ? C'est un gros déni de grossesse ? 

    15h : heure des coups de fil en tout genre : PMI, psy, radiologie, pédiatre...
    16h : retour vers les patientes. Bonjour messieurs, bonjour mesdames, puis-je vous demander de sortir le temps de parler à madame ? Oui, promis, cela ne durera que le temps nécessaire. Oui, les enfants aussi sont priés de sortir. Oui, vous aussi madame la grand-mère. Non, monsieur, vous, vous pouvez rester si votre compagne le souhaite. Un chocolat ? C'est gentil, merci. 

    Retour des patientes césarisées ce jour : comptage des perfusions, réfection de pansement si nécessaire, petite toilette pour être un peu mieux, essai de mise au sein, anti-douleurs... 
    Signe clinique intrigant : appel de l'interne. On verra... 

    Dossiers à remplir, feuille de transmission à préparer pour la collègue de nuit.
    Toujours les sonnettes, toujours les coups de fil. 

    De nouveau la relève. Ne rien oublier même si on ne rêve que de rentrer chez soi. Passer la main en insistant sur cette patiente fatiguée, douloureuse, ce ventre ballonné qui nous inquiète. 

    "Bonsoir madame, je suis la sage-femme de nuit".
    Non, monsieur, vous ne pouvez pas rester dormir ici. Non, mesdames, les visites c'est jusqu'à 20h, pas plus tard. Vous avez besoin de quelque chose pour la nuit ?
    La nuit vous fait peur ? Parlons-en. Et n'hésitez-pas à nous appeler si nécessaire. 
    Vous avez toujours mal au ventre, aux points, aux bouts de sein. Montrez-moi ça, on va voir comment tenter de vous soulager. 
    Vous voulez passer au biberon ? Vous regrettez de ne pas avoir donné le sein ? Rien n'est définitif, on va en parler. 
    Ce ventre est toujours ballonné ? Cela ne me plait pas, je vais appeler l'interne. Quoi ? Tu penses que c'est rien. Mais je te dis que ce n'est pas normal. Ok, ok, je ne suis que sage-femme. 

    La nuit qui s'écoule, lentement, au rythme des sonnettes et des pleurs, avec l'arrivée de nouvelles patientes. Essayer de poser ses jambes. Ne pas s'endormir devant l'ordinateur. Ne pas céder à la tentation du biberon donné à 3h du matin pour apaiser l'enfant et la mère. 

    5h, l'heure des prises de sang et des retraits de sonde. "Pardon, je suis désolée de devoir vous réveiller. Oui, je sais, vous dormiez bien et elle aussi."
    5h, l'heure du coup de fil à l'interne : "elle est vraiment pas bien, je veux que tu passes la voir. Non, ça ne peut pas attendre le staff de 8h. A quoi je pense ? A un syndrome d'Ogilvie. Je te dis de venir."

    7h30 : l'heure de la relève. Tout recommence.

    A oui, on va redescendre cette patiente en salle de réveil. Syndrome d'Ogilvie, oui.

    dimanche 25 mai 2014

    A celles qui ne fêtent pas les mères

    Aujourd'hui, en France, nous fêtons les mamans.
    Aujourd'hui, dans de nombreux foyers, des enfants vont réciter des poésies apprises à l'école et offrir des cadeaux faits par leurs petites mimines de tout leur cœur.
    Aujourd'hui dans de nombreux salons, des adultes vont se retrouver avec leurs parents, bouquets de fleurs (ou non) à la main. 

    Avec des envies d'amour, de réconciliation, des regrets ou des rancœurs, un sentiment d'obligation ou d'indifférence...

    La fête des mères, cette fête qui peut à la fois faire fondre nos coeurs et les endurcir, nous porter vers l'allégresse comme vers la peine. 
    Parce qu'il y a des fêtes qui ne peuvent que réveiller nos souffrances plus ou moins enfouies. 

    Parce qu'il y a des fêtes que certaines femmes souhaiteraient ne jamais voir venir sur leur calendrier. Celles qui n'ont plus de mère, celles qui souhaiteraient ne plus avoir CETTE mère, celles qui rêvent tellement de devenir mère, celles qui sont malheureuses d'être mère...

    Il y a celles qui ont perdu leurs repères, qui découvrent la maternité sans personne pour leur tenir la main, pour les rassurer.
    Celles qui vont avancer dans le noir et finalement, créer leur propre lumière. Celles qui trouveront la force en elle... ou craqueront en appelant à l'aide d'autres personnes. 
    Celles qui pleureront lorsqu'elles se rendront compte qu'elles n'ont personne pour raconter des anecdotes de leur propre enfance à leurs enfants.
    Celles qui allumeront des bougies pour les grand-mères absentes... et tenteront de les faire connaitre à des enfants en demande.

    Il y a celles qui souffrent en silence et celles qui osent taper du poing sur la table (ou sur leur smartphone) pour crier au monde leur tristesse. 
    Celles qui sont résignées et celles qui ne veulent jamais perdre espoir, même quand la médecine a, elle, baissé les bras. Celles qui se demandent encore et toujours "pourquoi ?" et qui n'auront jamais de réponse satisfaisante.
    Celles qui restent heureuses malgré tout d'apprendre des naissances ailleurs que dans leur maison et celles qui n'en peuvent plus. Celles qui préfèrent se protéger, celles qui ne veulent plus avoir à éviter. Celles qui se replient sur elles pour ensuite mieux s'ouvrir au monde.

    Il y a celles qui ont été mères mais n'ont jamais réussi à s'y faire. Celles qui n'ont pas pu, ou voulu garder ces enfants. Et qui vivent, survivent - ou non - avec cette absence.
    Celles qui ne l'ont été que trop brièvement et qui souffrent toujours dans leur corps, dans le cœur, de cette absence insupportable.
    Celles qui ont dû prendre des décisions déchirantes en renonçant à donner la vie... en ne donnant que la mort. Celles qui n'ont pas eu le choix, le destin ou d'autres ayant choisi pour elles.

    Chacune d'entre elles fait comme elle peut, comme elle veut et essaie de trouver son chemin.
    Et nous, sages-femmes, nous les rencontrons toutes et toutes, nous ne pouvons que tenter de les accompagner sur leur propre chemin.

    Alors, aujourd'hui, plutôt que de tourner mes pensées vers toutes ces mamans que j'ai rencontrées, je vais porter mon attention à toutes ces femmes qui souffrent de l'absence, de cette absence, de ces absences, si brulantes, si déchirantes, si impossibles à oublier. Comme cela l'est pour moi.

    mercredi 14 mai 2014

    Des femmes et des sages-femmes

    Lorsque j'ai changé de maternité, passant de ma petite Maternité Adorée de niveau 2 (2000 accouchements par an) à ma Grosse Usine de niveau 3 (4500 accouchements par an), j'ai dû repartir de zero. 

    En effet, il y a des métiers où l'on considère qu'un diplôme associé à un certain nombre d'années d'expérience sont suffisants pour justifier du "sérieux" d'un professionnel. En tant que sage-femme, je n'ai jamais ressenti cela. Autant quand j'étais élève, je pouvais comprendre et accepter de devoir faire mes preuves à chaque début de stage. Après tout, les écoles sont toutes différentes et les étudiants n'ont pas l'opportunité de pratiquer tous de la même manière. Mais cela a continué lorsque j'ai été diplômée, les collègues médecins ou sages-femmes restant méfiants sur cette "nouvelle sage-femme qui débarque". 

    Le problème d'un tel comportement, outre le fait qu'il donne l'impression de toujours être "incapable d'être au niveau requis", c'est qu'il est aussi très castrateur. Si l'on est une sage-femme forte de ses convictions et de ses compétences et que l'on est en présence de collègues ouverts et accueillants, cela se passe sans souci. Pour peu que l'on soit un chouïa timide ou que les autres se sentent supérieurs à vous, cela devient vraiment difficile. 

    Notamment lorsqu'on est soi-même une adepte du "respect de la physiologie" et que la maternité qui nous accueille est plutôt un temple de la pathologie et de la médicalisation. 

    Je m'étais donc posé la question de "que faire ? Laisser parler mon instinct de sage-femme ou me couler dans le moule pour ensuite faire émerger ma vraie personnalité lorsque je me serai sentie plus assurée dans ce nouvel hôpital ?". Heureusement pour moi, la réponse est venue de la seule personne qui pouvait, qui devait me l'apporter : ma patiente. Ma première patiente lors de cette première garde dans ce tout nouvel environnement. Une primipare au travail fulgurant et qui était tellement "bien" sur le côté qu'elle m'a convaincue de la laisser ainsi. J'étais ravie, elle aussi même si un tantinet déboussolée par la puissance de ce qu'elle venait de vivre. Mais cela n'aurait-il pas été le cas dans n'importe quelle position ? 

    Grâce à cette patiente, j'ai pu commencer à travailler dans ce nouveau poste en confiance, confiance en les femmes (mais cette confiance, je ne l'avais pas perdue) mais surtout confiance en moi, en mes capacités d'accompagnement, en mes possibilités de continuer à offrir aux femmes un accouchement le plus respecté possible malgré l'ambiance pro-médicalisation du lieu. Confiance également en mes capacités à m'imposer auprès de mes nouvelles collègues.
    D'ailleurs, la collègue qui me "doublait" ce jour-là m'avait dit par la suite avoir été impressionnée par mon courage à entamer ainsi ma "carrière" chez eux. 

    Cela m'avait rendu forte, prête à tout recommencer sur de bonnes bases. (Heureusement d'ailleurs car il m'a fallu dès le premier mois m'imposer également auprès d'une cadre tyrannique, aurais-je eu le courage de le faire si cette femme ne m'avait pas donné cette force ?)

    Si les sages-femmes sont les fées penchées sur les berceaux des enfants, les femmes sont notre moteur, celui qui nous pousse à toujours nous dépasser, nous révéler.

    Vous allez me dire : "Mais pourquoi évoquer ceci maintenant ?"

    Pour cette raison : dans son billet, Laura Bodey évoque les difficultés qu'ont certaines sages-femmes à s'autoriser à proposer des positions autres que l'accouchement en position gynécologique à leurs patientes. J'avais moi-même évoqué cela il y a peu dans un billet.

    Ces deux billets, associés à ce souvenir qu'ils ont réveillé en moi, m'ont fait prendre conscience d'une chose. 
    En vérité, sans une femme, une sage-femme n'est rien. Nous sommes là pour être à leurs côtés, pour les soutenir, pour nous assurer qu'elles vivent un des actes fondateurs de leur vie dans la sécurité médicale et émotionnelle. Nous sommes là pour accueillir leurs enfants et nous assurer qu'ils vivent ce passage vers la vie dans les meilleures conditions possibles. 
    Mais sans les femmes, nous ne serions que des techniciennes, de parfaits automates capables de lire des courbes, de calculer la dilatation d'un col, de pratiquer la réanimation d'un nouveau-né. 

    C'est parce qu'une femme est capable de nous dire, de nous faire comprendre que dans telle ou telle position elle se sent mieux que nous allons pouvoir lui faire des propositions pour soulager sa douleur. 
    C'est parce qu'une femme est capable de comprendre, de ressentir ce qui est bon pour son bébé à ce moment précis que nous pourrons l'accompagner dans un choix d'alimentation au sein ou au biberon. 
    C'est parce qu'une femme est capable de nous dire quelles sont ses peurs (ou en tout cas, qu'elle en a) que nous pourrons essayer de la guider, de l'accompagner sur le chemin de l'apaisement. 
    C'est parce qu'une femme est capable de reconnaitre que c'est difficile que nous pourrons être là pour la soutenir et l'aider à avancer. 
    C'est parce qu'une femme est capable de nous dire ce qu'elle souhaite dans sa vie de femme, de d'épouse, d'amante, de mère, que nous pourrons l'accompagner tout au long de son suivi gynécologique.

    Alors, mesdames, dites-le nous !!! 
    Et que toutes ces sages-femmes qui sont marquées par l'ignorance, l'habitude, la peur, toutes ces sages-femmes qui n'osent créer de nouveaux sentiers à battre, toutes ces sages-femmes qui se sentent écrasées par le regard castrateur de leurs pairs sachent qu'elles peuvent le faire, qu'elles doivent le faire, pour vous, mais aussi pour elles !

    jeudi 24 avril 2014

    Donc, "tout est dans la tête" ?

    Attention, en mode énervée !

    Il semblerait que cette histoire de "point du mari", qui presque un mois plus tard soulève toujours autant les passions, devienne ce qu'elle devait être : un révélateur des maltraitances dont sont victimes les femmes et de la manière dont certains (oui, j'insiste sur le certains) les considèrent. 

    Sur le fond, j'en suis plutôt ravie : la parole devait être libérée et les femmes devaient ouvrir les yeux. Les soignants aussi.

    Mais certains semblent pourtant préférer insulter les femmes et mépriser une profession plutôt que de croire l'évidence. 

    Ainsi, pour le grand Docteur Marty, président du Syndicat des Gynécologue-Obstétricien de France (quand même.... hein !), tout se passe "dans la tête des femmes" et il s'agirait d'un "fantasme qui éveille l'excitation". PARDON ??? Ai-je bien compris ? Ce que les femmes ayant été victimes de ce point (ou de toute suture d'épisiotomie désastreuse) recherchent, c'est une excitation ???
    Les femmes seraient donc des "hystériques" cherchant à attirer l'attention sur elles, peu importe le nombre de sages-femmes (professionnelles médicales pour autant...) qui sont sorties du silence pour dénoncer ce geste. 
    Et donc, il ne faudrait pas y accorder autant d'importance puisque "tout est dans leur tête". Quand on pense que ce grand docteur a justifié son refus de reconnaitre les sages-femmes à leur juste valeur par l'argument que "les femmes ne sont pas que des utérus, elles ont aussi des cerveaux", ça en devient franchement risible. 

    Et plus encore que cela, cela démontre clairement la manière dont les femmes sont prises en charge... en tout cas par cet homme et par ses pairs : 
    - si une femme souffre dans sa chair, dans sa zone la plus intime, dans une zone tellement "mystérieuse" pour les hommes qu'ils ont créé ce terme d'"hystérie" pour définir une névrose : névrose en lien avec l'utérus pour les non-hellenistes,  c'est forcément "faux", ce n'est pas une vraie douleur, tout se passe dans sa tête...
    - si une femme souffre dans sa tête, c'est de toute façon négligeable puisque ça se passe dans sa tête.
    Donc, si vous êtes une femme et que vous souffrez, ce n'est pas important. 

    (Ok, ok, je caricature, mais quand même...)

    Mais quand arrêtera-t-on de traiter par le mépris les femmes, ces femmes qui représentent quand même la moitié de l'humanité ??? 

    Et puisque ce grand docteur n'est plus à un mépris (ni à une contradiction) près, alors qu'il clame que ce point du mari n'existe pas et n'est qu'un fantasme féminin, il est quand même capable de nous dire que "La chirurgie est du domaine de l'art, on peut penser que certains médecins ont eu l'idée qu'en modifiant un peu leur façon de suturer, ils amélioreraient un peu la sexualité, et ça, ça ne nous choque pas". Hum, ai-je bien lu ??? N'est-ce pas une manière comme une autre de reconnaitre l'existence de ce geste ??? 
    Donc, ce grand docteur reconnait que certains pratiquent ce geste, mais que, comme c'est de l'art, ça ne le choque pas !! 

    Oh, les femmes ont-elles donné leur accord pour être traitées comme un objet et pas comme un être humain ? Les femmes sont-elles de la glaise que l'on peut manipuler à l'envie ? Et si le résultat ne convient pas, on fait quoi ? On le jette comme un vulgaire brouillon ???

    Mais comment peut-on mépriser quelqu'un à ce point ?

    Notons également que ce grand docteur reconnait que certains médecins ont jugé que cela améliorerait la sexualité de leur patiente. Mais que savent-ils de la sexualité de cette patiente ? De cette femme qu'ils rencontrent probablement pour la première fois le jour de leur accouchement ? Qui sont-ils pour juger sur quels critères une sexualité doit être satisfaisante ? La sexualité des uns n'est pas celle des autres et chacun vit sa sexualité comme il le souhaite, tant que cela est fait dans le respect et avec le consentement de son/sa partenaire. En quoi un médecin peut-il se permettre de croire que l'on peut classer la sexualité comme on classerait l'efficacité d'un médicament ?

    Enfin, le grand docteur ayant souhaité réagir aux remarques soulevées par ce premier article, je note quand même deux chose, puisqu'il se défend en disant ceci : "Il nous est apparu important de donner cette information à l'occasion de la polémique sur ce que certains ont voulu appeler "le point du mari", avec le souci que les populations masculines et féminines n'investissent pas trop dans des possibilités chirurgicales d'améliorer leur situation dans leur vie sexuelle. Les accouchées ne devaient pas craindre non plus qu'un geste au cours d'une réfection périnéale puisse avoir un effet négatif durable."
    Intéressant de noter que ce qui lui pose souci dans cette polémique, c'est en premier lieu la crainte que les couples sollicitent les médecins afin d'améliorer leur vie sexuelle. Non, son souci n'a pas été de rassurer les femmes sur une pratique qu'il va tout faire pour éradiquer, non, non. Non, ce docteur ne veut pas que les couples le voient comme le "sauveur de leur couple" !!! 
    Et en deuxième point, il ne fait jamais que nier les effets indésirables que pourraient entrainer une épisiotomie ou une suture mal faite. 
    Mais comment peut-on oser dire de telles choses ???? 

    Et comment cet homme, si intelligent, si diplômé, censé représenter l'ensemble des gynécologues-obstétriciens de France, n'a-t-il pas compris que cette polémique était également un cri du cœur à l'encontre de toutes les maltraitances dont sont victimes les femmes dans le milieu médical ? N'a-t-il pas vu que la notion de respect, d'information éclairée et de libre consentement sous-tendait toute la polémique liée au point du mari ? Non...