lundi 24 février 2014

Je suis une sage-femme désœuvrée

Il y a dix ans, je sortais de l'école de sages-femmes, mon Diplôme d’État en poche.
Il y a dix ans, je sortais de l'école en sachant qu'un poste m'attendait déjà dans une maternité. D'ailleurs, pas n'importe quelle maternité, celle où ma propre mère m'avait mise au monde : Maternité Adorée. 

Il y a six ans, je rencontrais celui qui allait devenir mon époux et le père de mes enfants. Pour lui, je quittais ma Maternité Adorée pour rejoindre une Grande Usine, grosse maternité où naissent toujours plus 4500 enfants par an, dans une Grande Ville. Une grande ville où, si nous nous y sommes mariés et avons fondé une famille, nous n'avons ni l'un ni l'autre trouvé le plein épanouissement que nous attendions : trop de monde, trop de bruits, pas assez d'humanité et de nature.

Il y a deux ans, nous avons quitté cette Grande Ville qui nous étouffait pour une plus petite ville, au cœur des montagnes, une ville où nous pouvions imaginer voir grandir nos enfants dans le bonheur et la sécurité. 
Nous y sommes heureux. Nos enfants aiment les montagnes et mon mari et moi respirons de nouveau. 
Mais il y a évidemment un hic : il n'y a pas de travail pour les sages-femmes dans Ville des Montagnes. 

Et non !

Si vous avez suivi un tantinet l'actualité, vous savez que depuis le 16 octobre 2013, les sages-femmes de France sont en grève. En grève car saturées du manque de reconnaissance à la fois des patients et des médecins, des politiques et des gouvernants. Saturées d'être toujours considérées comme la dernière roue du carrosse, la petite main... Cette grève est motivée par de nombreuses et très bonnes raisons que mes collègues sages-femmes blogueurs ont largement évoqués. 
Mais il y en a une qui n'a reçu que peu d'échos : les sages-femmes de France sont aujourd'hui touchées par le chômage et la précarité. 
Précarité des jeunes diplômé(e)s qui ne trouvent pas de postes, si ce n'est de courts CDD non renouvelables et qui les obligent à un nomadisme professionnel insupportable.
Précarité des ancien(ne)s diplômé(e)s qui, parce qu'ils ont suivi un conjoint comme moi, ne trouvent pas de postes dans leur nouvelle région (soit parce qu'il n'y a pas réellement de poste, soit parce qu'ils coutent désormais trop cher, bien plus cher qu'une sage-femme tout juste sortie de l'école).
Précarité des sages-femmes qui se tournent alors vers la voie du libéral pour tenter de créer quelque chose... quand ils le peuvent. Depuis deux ans, l'installation en libéral est réglementée, limitée et certaines zones sont désormais trop surdotées pour autoriser de nouvelles installations. C'est le cas à Ville des Montagnes. 
Mais lorsque l'installation est encore possible, ce n'est pas pour autant un gage de réussite : dans certaines zones, il y a trop de sages-femmes pour trop peu de patientes ; dans d'autres, il n'y a pas beaucoup de sages-femmes... mais pas de patientes non plus. Ou du moins, pas de patientes pour venir vers eux.

Encore un problème que rencontrent les sages-femmes. Qui aujourd'hui connait l'étendue de nos compétences ? Trop peu de femmes viennent nous voir spontanément. Trop peu de médecins nous orientent leurs patientes pour le suivi de grossesse ou le suivi gynécologique de prévention, toutes choses qui sont pourtant complètement dans nos compétences. Si nous étions utilisées dans la pleine mesure de nos compétences, nous aurions toutes du travail. Mais non, actuellement, beaucoup de mes collègues ne vivent, que dis-je ne survivent, qu'en faisant de la préparation à la naissance et de la rééducation du périnée. Évidemment que ce sont deux choses importantes pour une femme, un couple qui découvrent la parentalité. Mais nous pourrions leur apporter tellement plus !

Aujourd'hui, je suis donc désœuvrée.
En congé parental forcé, je n'ai pas obtenu de mutation vers la maternité de Ville des Montagnes. 
De par la restriction d'installation, je n'ai pu tenter ma chance en libéral. 
Les cliniques de la ville ne proposent aucun poste.
La Protection Maternelle et Infantile me juge trop jeune pour prendre en charge leurs patientes.
Aujourd'hui, je suis donc désœuvrée. 

Mais je n'en demeure pas moins sage-femme jusqu'au bout des ongles, dans mes tripes. Et la sage-femme en moi ne peut que pleurer d'être si désœuvrée quand elle entend tous ces récits de femmes malheureuses de leur suivi de grossesse, malheureuses de leur prise en charge lors de leur accouchement, malheureuses du mauvais soutien (voire du soutien inexistant) reçu lors de leurs difficultés d'allaitement ou lorsque le retour à la maison, lorsque la réalité d'un enfant, n'ont pas été aussi évidents que ce qu'elles envisageaient. 

Il y a du travail pour les sages-femmes en France. Les femmes ont besoin de nous. Elles ont besoin de professionnels qualifiés et disponibles. Or, ceux qui sont aujourd'hui en poste ne sont plus disponibles. Et ceux qui le sont, sont soit au chômage, en attente d'un emploi... ou en attente d'une patientèle qui viendrait vers elle. 

Aujourd'hui, je suis donc désœuvrée.

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