lundi 2 juin 2014

Une journée si ordinaire...

La garde débute à 7h30 dans la Grande Usine. La garde pour les sages-femmes, pas la journée des femmes qui, elle, a commencé bien plus tôt.

5h du matin pour les patientes césarisées de la veille, les dames nécessitant un bilan sanguin. 5h du matin, c'est l'heure des retraits de sondes urinaires, l'heure des prises de sang dont les résultats doivent OBLIGATOIREMENT être récupérés avant le staff de 8h. 
5h du matin, c'est également l'heure où les bébés dorment enfin, après parfois de nombreuses heures de pleurs, de marche dans le couloir, de câlins et de mots apaisants pour ces petits êtres perdus dans ce nouveau monde.
5h du matin, c'est également l'heure où les mamans dorment enfin du sommeil du juste, du sommeil réparateur, de ce sommeil qui est si indispensable pour assurer les journées et les nuits qui les attendent. 
Mais qu'importe, 5h du matin, c'est l'heure des retraits des sondes urinaires et des prises de sang. 

6h20 du matin, c'est ensuite l'heure des petits-déjeuner. Plus ou moins copieux en fonction du nombre de patientes dans le service ce jour-là, toujours à une heure où les femmes et les enfants n'ont qu'une envie : dormir !

Puis à partir de 7h, c'est la valse des intervenants : le ménage des chambres, la réfection des lits, le sacro-saint bain du bébé. Dois-je répéter que c'est toujours l'heure où femmes et enfants ne demandent qu'une chose : dormir ?

A 8h, le staff débute pour les sages-femmes, médecins, internes, étudiants... Etude des partogrammes : le travail a-t-il été harmonieux, pas trop long, pas trop court ? Pourquoi le syntocinon n'a-t-il pas été branché plus tôt ? Pourquoi a-t-on attendu que la péridurale soit posée pour rompre la poche des eaux ? Pourquoi a-t-elle poussé aussi longtemps ? ... Beaucoup de questions dont finalement les réponses importent peu. De toute façon, les sages-femmes de la nuit sont déjà parties dormir, comment pourraient-elles y répondre ? 

8h30, le tour de garde avec l'obstétricien, uniquement pour les patientes présentant des pathologies. Vite fait, bien, fait, le médecin, l'interne, l'externe, la sage-femme, l'élève sage-femme, la cadre du service. Tout ce petit monde pour regarder une cicatrice, palper un utérus... et analyser les résultats des prises de sang. 

9h, vient le ballet de la sage-femme, qui doit trouver sa place dans la chorégraphie des intervenants : le sol est mouillé ? Je repasserai plus tard. Vous donnez le bain ? Je repasserai plus tard. Vous donnez le sein ? Je repasserai plus tard... A moins que, quoi, vous aimeriez que je regarde la tétée ? Attendez, je rentre mon chariot-char d'asseau, je regarde. Vous êtes sous la douche ? Vous en avez pour longtemps ? Je vous attends ou vous préférez que je repasse plus tard ? 
C'est bon, vous êtes prête, je peux venir vous examiner ? Non, non, ne vous déshabillez pas complètement, je vais d'abord prendre votre tension puis seulement après je regarderai votre poitrine. Votre slip ? oui, voilà, maintenant, mais vous pouvez remettre votre soutien-gorge d'abord, il n'y a pas d'urgence. 
Ah, désolée, le téléphone sonne. "Allo ?" d'une main quand l'autre tente de rabattre un drap pudiquement, le temps d'une conversation qui ne devrait pas avoir lieu dans cette chambre. "Je reviens, j'essaie de faire vite". Pas assez vite, "où en étions-nous ?".
Des douleurs ? des questions ? des craintes ? je vous écoute. Enfin, si ce téléphone veut bien arrêter de sonner. 
L'allaitement ? oui, appelez-moi à la prochaine tétée, on verra ensemble pourquoi vous avez mal, comment prend ce petit gourmand. 
Vous souhaitez sortir aujourd'hui ?  Comment est la courbe de poids ? Vous vous sentez prête à rentrer chez vous ? Vous connaissez la rééducation du périnée ? Vous savez qui consulter pour votre visite post-natale ? Vous désirez un moyen de contraception ? Ah, vous souhaitez que j'en parle avec votre compagnon ? D'accord, appelez-moi quand il sera là.
Je dois faire une prise de sang à votre bébé. Avez-vous des questions sur les examens qui vont être faits ? Avez-vous signé la feuille de consentement ? Tenez, on va lui mettre les mains bien au chaud, comme ça, la prise de sang sera très facile. Est-ce que ça va lui faire mal ? Peut-être un peu, mais on va lui donner du sucre à boire et vous verrez, avec notre technique, ça ne dure que quelques secondes. 

Quoi ? La dame a fait un malaise dans la douche ?? Je vous laisse madame, n'hésitez pas à m'appelez si nécessaire. Courir dans les couloirs. Retrouver la patiente blanche comme un linge : "trop fatiguée, il a pleuré toute la nuit, je suis épuisée." Allongez-vous madame, voilà, je vous prends la tension. Oui, c'est dur les nuits. Oui, parfois, on se sent impuissantes. N'hésitez pas à lui dire. Il a du mal à prendre le sein ? Appelez-nous, on vous aidera. Mais oui, vous avez le droit de pleurer. Mais oui, ce n'est pas comme vous l'aviez imaginé. Vous serez aidée à la maison ? Vous êtes entourée ? N'hésitez pas à passer la main si vous sentez que vous en avez besoin. Passer au biberon serait plus simple ? C'est vous qui voyez mais vous savez, ce qui est difficile, ce n'est pas d'allaiter ou non, c'est surtout de vivre au rythme d'un nouveau-né. Courage, cela ne dure pas. Toute chose a un fin même si là, aujourd'hui, vous avez l'impression que le temps s'est arrêté. Vous verrez, chez vous, ce sera déjà différent. Vous pourrez prendre vos marques, ne pas être tributaire du rythme de l'hôpital ? Vous avez une sage-femme libérale qui puisse passer vous voir à votre retour ? Souhaitez-vous que je demande à une puéricultrice de la PMI de passer également ?
Ah, on m'appelle. Je dois vous laissez, cela va aller ? Je repasse vous voir dans l'après-midi, d'accord ?

Le bébé à piquer ? Ah oui, j'arrive. 
Le labo au téléphone ? Ah oui, j'arrive. 
La psy qui souhaite me parler ? Ah oui, j'arrive. 
La PMI en ligne ? Ah oui, j'arrive. 
Le 115 pour l'hébergement d'urgence ? Ah oui, j'arrive. 
La dame à descendre au bloc opératoire ? Les brancardiers ne sont pas là ? Ah oui, j'arrive. 
Les papiers à donner pour que la dame rentre chez elle et que les filles puissent refaire sa chambre, ça bouchonne en salle d'accouchement ? Ah oui, j'arrive. 
La dame en réa dont il faut palper l'utérus ? Ah oui, j'arrive.
Le mari de la dame est là, c'est bon pour la traduction, tu viens ? Ah oui, j'arrive. 
Le self ferme dans 10 min, il est 13h50, tu viens manger ? Ah oui, j'arrive... ou pas.

Le staff de 14h avec les auxiliaires de puériculture, la psychologue, l'assistante sociale, la cadre du service. La courbe de poids n'est pas bonne ? Elle te parait jaune ? Le bilan n'est pas bon ? Elle veut passer au biberon ? Elle tire son lait et elle a mal ? Comment va le petit en néonat ? La maman pleure ? Elle veut rester un jour de plus pour assister au baptême du bébé en réa ? Ils vont arrêter les soins dans deux jours et elle doit partir demain ? La pouponnière passera prendre le petit bébé X demain ? La maman est-elle prête ? Le psy est passé ? C'est un gros déni de grossesse ? 

15h : heure des coups de fil en tout genre : PMI, psy, radiologie, pédiatre...
16h : retour vers les patientes. Bonjour messieurs, bonjour mesdames, puis-je vous demander de sortir le temps de parler à madame ? Oui, promis, cela ne durera que le temps nécessaire. Oui, les enfants aussi sont priés de sortir. Oui, vous aussi madame la grand-mère. Non, monsieur, vous, vous pouvez rester si votre compagne le souhaite. Un chocolat ? C'est gentil, merci. 

Retour des patientes césarisées ce jour : comptage des perfusions, réfection de pansement si nécessaire, petite toilette pour être un peu mieux, essai de mise au sein, anti-douleurs... 
Signe clinique intrigant : appel de l'interne. On verra... 

Dossiers à remplir, feuille de transmission à préparer pour la collègue de nuit.
Toujours les sonnettes, toujours les coups de fil. 

De nouveau la relève. Ne rien oublier même si on ne rêve que de rentrer chez soi. Passer la main en insistant sur cette patiente fatiguée, douloureuse, ce ventre ballonné qui nous inquiète. 

"Bonsoir madame, je suis la sage-femme de nuit".
Non, monsieur, vous ne pouvez pas rester dormir ici. Non, mesdames, les visites c'est jusqu'à 20h, pas plus tard. Vous avez besoin de quelque chose pour la nuit ?
La nuit vous fait peur ? Parlons-en. Et n'hésitez-pas à nous appeler si nécessaire. 
Vous avez toujours mal au ventre, aux points, aux bouts de sein. Montrez-moi ça, on va voir comment tenter de vous soulager. 
Vous voulez passer au biberon ? Vous regrettez de ne pas avoir donné le sein ? Rien n'est définitif, on va en parler. 
Ce ventre est toujours ballonné ? Cela ne me plait pas, je vais appeler l'interne. Quoi ? Tu penses que c'est rien. Mais je te dis que ce n'est pas normal. Ok, ok, je ne suis que sage-femme. 

La nuit qui s'écoule, lentement, au rythme des sonnettes et des pleurs, avec l'arrivée de nouvelles patientes. Essayer de poser ses jambes. Ne pas s'endormir devant l'ordinateur. Ne pas céder à la tentation du biberon donné à 3h du matin pour apaiser l'enfant et la mère. 

5h, l'heure des prises de sang et des retraits de sonde. "Pardon, je suis désolée de devoir vous réveiller. Oui, je sais, vous dormiez bien et elle aussi."
5h, l'heure du coup de fil à l'interne : "elle est vraiment pas bien, je veux que tu passes la voir. Non, ça ne peut pas attendre le staff de 8h. A quoi je pense ? A un syndrome d'Ogilvie. Je te dis de venir."

7h30 : l'heure de la relève. Tout recommence.

A oui, on va redescendre cette patiente en salle de réveil. Syndrome d'Ogilvie, oui.

2 commentaires:

  1. Oh mon dieu... L'enfer de la mater... Et quand il y a une organisation pareille c'est tellement l'horreur. Merci aux "Grandes usines"... =S

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  2. J'ai l'impression de relire ma journée d hier et de demain... c'est tellement vrai !!

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