jeudi 27 février 2014

Et si on parlait formation ?

La profession de sage-femme est une profession médicale, au même titre que les médecins et les pharmaciens. De ce fait, elle est soumise à une obligation de formation continue, obligation qui nous est réclamée par notre Conseil de l'Ordre des Sages-Femmes. Il ne s'agit donc pas de tortiller : nous devons continuer à nous former ! 
Et heureusement !
Notre pratique, nos connaissances d'une obstétrique moderne, d'une gynécologie centrée sur la femme, tout cela mérite d'être toujours remis en cause, remis à jour selon les dernières données de la science, pour le bien des femmes et des enfants que nous suivons. Et cela n'est pas un poids pour nous, dans le sens où une grande partie de la profession est poussée par cet élan à toujours de former pour aller vers du mieux. 

Il y a différentes manières de se former.
La voie universitaire, à travers les master et doctorat qui nous sont ouverts... même si le chemin vers leur réussite n'est pas toujours aisé lorsqu'on n'est "que" sage-femme. On trouve également dans cette voie les nombreux Diplômes Universitaires et Inter Universitaires qui nous sont proposés : gynécologie et contraception, régulation des naissances, échographie obstétricale et gynécologique, médecine fœtale, prise en charge des grossesses à risque, mécanique obstétricale, périnéologie, psychopérinatalité, allaitement maternel et lactation humaine, acupuncture, homéopathie... et tant d'autres !
Des organismes indépendants permettent également des sessions de formation, plus courtes généralement et plus concentrées : eutonie, rééducation du périnée, sophrologie, yoga, chant prénatal, accompagnement au sevrage tabagique, préparation en piscine... 

Notre champ de formation est de ce fait aussi vaste que notre champ de compétences.

Mais il y a un hic ! (il y a toujours un hic, sinon, à quoi bon en parler ?)

Le hic, c'est que la prise en charge des formations des sages-femmes est très mauvaise.
En milieu hospitalier, de par notre statut de fonctionnaire, elle est totalement liée au plan de formation global de l'hôpital. Autant dire qu'on se retrouve plus souvent en formation "gestion du risque incendie" ou "gestion du risque transfusionnel" (déjà deux fois chacun pour ma part) qu'en formation "accompagnement de l'allaitement" ou "gestion des addictions". 
En libéral, le choix est plus libre puisque totalement dépendant de la sage-femme mais, même si la sécu prend en charge un certain nombre de jours de formation, elles doivent le plus souvent sortir la somme nécessaire de leur poche. Somme qui prend en compte certes le coût de la formation mais également celui des frais de déplacement, de logement, de bouche... sans parler des frais de garde des enfants lorsqu'il y en a.

Je parle évidemment là des sages-femmes en activité. 

Lorsqu'on est dans mon cas, en congé parental, en disponibilité pour suivi de conjoint, ou encore même au chômage, les choses se compliquent. 
Au chômage, les formations ne sont prises en charge qu'avec accord de Pôle Emploi, il faut donc que la formation paraisse avoir une vraie "plus value" pour ouvrir vers une embauche. Autant dire que c'est très rarement le cas pour les sages-femmes.
Lorsqu'on est en disponibilité, c'est facile, on a droit à RIEN, rien, nada. Mais pour autant, nous sommes toujours soumises à l'obligation de formation continue. 
Alors que faire ? Et bien, soit on laisse tomber en espérant que le conseil de l'ordre sera tolérant au vu de notre situation professionnelle, soit on se forme, malgré tout, à nos risques et périls financiers.

Et c'est là que le deuxième effet kiss kool du hic intervient : les formations sont bien plus chères lorsqu'elles ne sont pas prises en charge par un organisme. Traduction : si vous payez de votre poche, c'est encore plus cher ! Et quand je dis plus cher, on peut parfois retrouver une différence de plus de 600 euros lorsqu'il y a ou non prise en charge par un organisme. Sans compter les frais d'intendance qui se surajoutent.

Alors, comment faire ? Qui dit disponibilité ou chômage dit absence de salaire. Au mieux, on peut bénéficier des allocations chômage ou du Complément Libre Choix d'Activité de la Caisse d'Allocations Familiales. Au pire, on a rien. Rien. Comment payer une formation, chère, quand on a pas de revenus ou minimes ? 

Je me le demande. 

Et comment vais-je pouvoir cette année me plier à cet impératif de formation continue ? 
Pour 2013, j'ai pu passer un DIU grâce un gentil mécène (mon mari en l’occurrence) mais pour 2014 ? Devrais-je encore dépendre totalement de ses possibilités financières ? Et si cela nous est impossible ? Dois-je rappeler que nous ne vivons que sur un seul salaire ?
Et comment vont faire mes consœurs et confrères dans la même situation ?

A croire que nous sommes soumis à la double peine : pas de travail et pas de moyen de nous former... pour obtenir un travail...

mardi 25 février 2014

Au commencement...

J'aime la notion de chemin de vie. Personne ne peut dire quelle voie suivra le cours de notre vie, si celle-ci est déjà tracée ou si au contraire, des évènements vont venir tout chambouler et nous projeter dans une autre direction. 
Le monde est plein de vie, et donc de changements et notre chemin dépend trop des autres pour qu'aujourd'hui, nous puissions dire : "dans dix ans, je serai ceci"
Non, c'est impossible.
Et heureusement. 
Comment continuer si l'on sait déjà où le bout du chemin nous mène ?

Ce sont les aléas des chemins de vie qui m'ont mené au point où je suis aujourd'hui, désœuvrée, mais je sais que cela changera, à un moment ou à un autre.

Après tout, mon chemin a changé trop souvent de trajectoire pour que je ne sois pas convaincue que cela ne peut que recommencer. 

Devenir sage-femme est d'ailleurs issu d'un de ces changements de trajectoire.

Quand j'étais petite, je souhaitais être archéologue, plus tard. Fouiller la terre pour en faire émerger des richesses et des mystères, remettre dans la lumière des splendeurs cachées depuis des millénaires (j'avais et j'ai toujours une passion pour l'égyptologie).
Et puis, j'ai grandi, dans une famille ayant subi son lot de difficultés, et il m'est apparu à un moment que ce n'était pas un rêve très réaliste. Trop peu d'élus pour beaucoup d'appelés.
Alors, en terminale, lorsqu'il m'a fallu faire un choix, je me suis orientée vers une autre profession, vers un choix plus rationnel : faire médecine. 
J'avais toujours eu ce truc qui me poussait à aider les gens, à être là quand ils en avaient besoin. Je me sentais cette profonde envie de soigner les gens, de les aider à aller vers des chemins plus radieux. Ça, c'était pour le côté idéaliste. Le côté réaliste me disait, lui, que si je devais me planter, je le saurais vite, dès la fin de la première année de médecine.
Je me suis donc orientée vers la faculté de médecine.

La chance a fait que mon chemin croise juste celui qui allait être le caillou sur ce chemin.

Pour payer mes études, je travaillais depuis trois étés comme serveuse dans une crêperie bretonne, et cet été là, un jeune homme a rejoint notre équipe, un jeune homme qui venait d'échouer au concours de médecine et s'apprêtait à redoubler sa première année. Par le hasard d'une crêpe, je me suis donc retrouvée intégrée dès la rentrée universitaire à un groupe de redoublants, étudiants aguerris aux difficultés de la fameuse première année de médecine. Heureusement, car cette année a probablement été une des plus difficiles de toute ma vie : l'éloignement familial, la solitude, la pression... 
A la fin de cette année, mon Compagnon de Crêperie a réussi à se classer... pour sage-femme. Il en était ravi même si un peu incertain quant à ce qui l'attendait réellement.
Quant à moi, je me préparais à redoubler mon année de médecine. 

Très vite après la rentrée, mon Compagnon de Crêperie est venu nous raconter ce qu'il vivait, les cours, difficiles mais en plein cœur de son futur métier, les stages où il tenait déjà la vie entre ses mains, le contact avec les femmes et les couples, si fort. Il a commencé à me faire réfléchir sur ce que j'attendais réellement des ces études de médecine. Réflexion qui avait déjà été largement entamée devant la vision que m'offraient les autres étudiants de première année : nulle part je ne trouvais signe de cette empathie qui me paraissait essentielle à de futurs soignants, ce n'était que pression et concurrence, qu'ils faisaient généralement retomber à grands coups de soirées arrosées et débridées. Je ne me retrouvais pas en eux.
Il ne m'a pas fallu longtemps pour décider que j'allais passer le concours... uniquement pour m'orienter vers sage-femme. Cela ne l'a pas rendu plus facile, non. Mais cela me donnait un véritable objectif à atteindre. 

A l'issu de ce deuxième et dernier concours, je me classais 18ème sur 20 sur la liste d'attente pour entrer en école de sages-femmes. J'y croyais. Après tout, personne ne connaissait ce métier, personne n'en parlait dans l'amphithéâtre de médecine, c'était les "ratés" qui allaient là-bas. 
J'attendais donc que l'on m'appelle. 
Mais les jours se sont transformés en semaines et finalement, prise d'une sombre intuition, j'ai de moi-même appelé l'école de sages-femmes pour savoir ce qu'il en était. "Mais vous n'y pensez pas, vous êtes trop loin sur la liste d'attente, jamais cela ne viendra jusqu'à vous !". La douche fut glacée et glaçante. 
Très vite, il fallut que je me tourne vers une autre option et sans vraiment réfléchir, j'optais pour la passerelle vers le DEUG de bio, le seul qui m'était accessible avec les notes obtenues au concours. 
L'été se termina dans une sinistre morosité, mon rêve envolé avec lui. 

En septembre, j'appelais une dernière fois l'école de sages-femmes : ils avaient terminé leur recrutement, ils s'étaient arrêtés juste avant moi. Cruelle désillusion ! 
J'attaquais donc la fac de bio sans entrain, me trainant en cours pour le principe d'aller en cours. Je réfléchissais déjà à ce que j'allais tenter l'année d'après : les concours d'infirmière ? Cela ne me tentait pas vraiment, j'avais compris en fac de médecine que c'était la vie qui m'appelait, pas la mort. Une autre fac ? Mais quel temps de perdu...
Quinze jours s'écoulèrent ainsi jusqu'à ce jour où mon Compagnon de Crêperie m'appela : une fille avait abandonné après quinze jours de cours, la place était à moi si je la souhaitais. Quel cri j'ai poussé à ce moment-là ! J'ai bien dû lui percer les tympans !

Mais deux heures plus tard, j'étais assis dans une salle de cours, auprès de celles qui allaient devenir comme des sœurs pour moi, à apprendre à préparer une perfusion, encore sonnée de la chance qui m'arrivait.

Et quatre ans plus tard, je quittais l'école, mon Diplôme d'Etat en poche, une maternité m'ouvrant ses portes, convaincue que mon chemin de vie était tout tracé. 

Une crêpe aurait pourtant dû me rappeler que rien n'est tracé dans la vie !

lundi 24 février 2014

Je suis une sage-femme désœuvrée

Il y a dix ans, je sortais de l'école de sages-femmes, mon Diplôme d’État en poche.
Il y a dix ans, je sortais de l'école en sachant qu'un poste m'attendait déjà dans une maternité. D'ailleurs, pas n'importe quelle maternité, celle où ma propre mère m'avait mise au monde : Maternité Adorée. 

Il y a six ans, je rencontrais celui qui allait devenir mon époux et le père de mes enfants. Pour lui, je quittais ma Maternité Adorée pour rejoindre une Grande Usine, grosse maternité où naissent toujours plus 4500 enfants par an, dans une Grande Ville. Une grande ville où, si nous nous y sommes mariés et avons fondé une famille, nous n'avons ni l'un ni l'autre trouvé le plein épanouissement que nous attendions : trop de monde, trop de bruits, pas assez d'humanité et de nature.

Il y a deux ans, nous avons quitté cette Grande Ville qui nous étouffait pour une plus petite ville, au cœur des montagnes, une ville où nous pouvions imaginer voir grandir nos enfants dans le bonheur et la sécurité. 
Nous y sommes heureux. Nos enfants aiment les montagnes et mon mari et moi respirons de nouveau. 
Mais il y a évidemment un hic : il n'y a pas de travail pour les sages-femmes dans Ville des Montagnes. 

Et non !

Si vous avez suivi un tantinet l'actualité, vous savez que depuis le 16 octobre 2013, les sages-femmes de France sont en grève. En grève car saturées du manque de reconnaissance à la fois des patients et des médecins, des politiques et des gouvernants. Saturées d'être toujours considérées comme la dernière roue du carrosse, la petite main... Cette grève est motivée par de nombreuses et très bonnes raisons que mes collègues sages-femmes blogueurs ont largement évoqués. 
Mais il y en a une qui n'a reçu que peu d'échos : les sages-femmes de France sont aujourd'hui touchées par le chômage et la précarité. 
Précarité des jeunes diplômé(e)s qui ne trouvent pas de postes, si ce n'est de courts CDD non renouvelables et qui les obligent à un nomadisme professionnel insupportable.
Précarité des ancien(ne)s diplômé(e)s qui, parce qu'ils ont suivi un conjoint comme moi, ne trouvent pas de postes dans leur nouvelle région (soit parce qu'il n'y a pas réellement de poste, soit parce qu'ils coutent désormais trop cher, bien plus cher qu'une sage-femme tout juste sortie de l'école).
Précarité des sages-femmes qui se tournent alors vers la voie du libéral pour tenter de créer quelque chose... quand ils le peuvent. Depuis deux ans, l'installation en libéral est réglementée, limitée et certaines zones sont désormais trop surdotées pour autoriser de nouvelles installations. C'est le cas à Ville des Montagnes. 
Mais lorsque l'installation est encore possible, ce n'est pas pour autant un gage de réussite : dans certaines zones, il y a trop de sages-femmes pour trop peu de patientes ; dans d'autres, il n'y a pas beaucoup de sages-femmes... mais pas de patientes non plus. Ou du moins, pas de patientes pour venir vers eux.

Encore un problème que rencontrent les sages-femmes. Qui aujourd'hui connait l'étendue de nos compétences ? Trop peu de femmes viennent nous voir spontanément. Trop peu de médecins nous orientent leurs patientes pour le suivi de grossesse ou le suivi gynécologique de prévention, toutes choses qui sont pourtant complètement dans nos compétences. Si nous étions utilisées dans la pleine mesure de nos compétences, nous aurions toutes du travail. Mais non, actuellement, beaucoup de mes collègues ne vivent, que dis-je ne survivent, qu'en faisant de la préparation à la naissance et de la rééducation du périnée. Évidemment que ce sont deux choses importantes pour une femme, un couple qui découvrent la parentalité. Mais nous pourrions leur apporter tellement plus !

Aujourd'hui, je suis donc désœuvrée.
En congé parental forcé, je n'ai pas obtenu de mutation vers la maternité de Ville des Montagnes. 
De par la restriction d'installation, je n'ai pu tenter ma chance en libéral. 
Les cliniques de la ville ne proposent aucun poste.
La Protection Maternelle et Infantile me juge trop jeune pour prendre en charge leurs patientes.
Aujourd'hui, je suis donc désœuvrée. 

Mais je n'en demeure pas moins sage-femme jusqu'au bout des ongles, dans mes tripes. Et la sage-femme en moi ne peut que pleurer d'être si désœuvrée quand elle entend tous ces récits de femmes malheureuses de leur suivi de grossesse, malheureuses de leur prise en charge lors de leur accouchement, malheureuses du mauvais soutien (voire du soutien inexistant) reçu lors de leurs difficultés d'allaitement ou lorsque le retour à la maison, lorsque la réalité d'un enfant, n'ont pas été aussi évidents que ce qu'elles envisageaient. 

Il y a du travail pour les sages-femmes en France. Les femmes ont besoin de nous. Elles ont besoin de professionnels qualifiés et disponibles. Or, ceux qui sont aujourd'hui en poste ne sont plus disponibles. Et ceux qui le sont, sont soit au chômage, en attente d'un emploi... ou en attente d'une patientèle qui viendrait vers elle. 

Aujourd'hui, je suis donc désœuvrée.