Suite à la tribune sur "Le consentement, point aveugle de la formation des médecins, Le cas choquant du toucher vaginal", je
voulais vous parler de mes études de sages-femmes.
Je voulais vous parler de mes études, vous dire
qu'elles avaient été marquées du sceau du respect, et je me suis
souvenue de mon premier toucher vaginal.
J'étais en première année, j'avais
déjà passé deux semaines en stage en salle d'accouchement. J'avais
vu un certain nombre d'accouchement, j'avais assisté à des
consultations, à des césariennes... J'avais déjà vu beaucoup de
choses mais je n'avais jamais « touché », jamais « mis
la main ».
Ce jour-là, il y avait beaucoup de
travail en salle. La sage-femme était donc allée accueillir cette
4ème pare qui venait en début de travail et alors que j'entrais
dans la salle pour la rejoindre, elle repartait déjà. Elle me dit
toutefois : « vas-y, examine-la et viens me dire ce que tu
as trouvé » en passant la porte, sans même me regarder, sans
même regarder la dame. J'étais sous le choc : j'allais faire
mon 1er TV ! J'étais émue ! Mais en même temps, j'étais
toute seule. Comment allais-je faire ? Comment savoir si je
faisais ce qu'il fallait ? Et qu'allais-je dire à la dame :
« Coucou ! Je viens faire mon 1er TV sur vous !! »
D'autant plus qu'à l'époque, j'étais très timide, introvertie,
manquant de confiance en moi. Je ne pouvais pas faire ça, je
n'oserais jamais. Mais en même temps, si je ne le faisais pas, la
sage-femme ne me le reproposerait pas. Et j'avais vraiment envie de
commencer à « mettre la main à la pâte ». J'étais
donc finalement entrée dans le box. La dame m'avait regardée,
surprise. Alors, j'avais pris mon courage à deux mains et je lui
avais expliqué : j'étais étudiante, si elle était d'accord,
j'allais faire mon premier toucher vaginal sur elle. Elle m'a souri,
elle m'a dit « oui » et, alors que je me perdais
littéralement en elle, elle me guida pour que ce geste ne demeure
pas un échec mais bien une réussite « un peu plus à gauche,
vous le sentirez, je pense ».
Ce jour-là, j'ai fait mon premier TV,
mais pas grâce à une sage-femme, grâce à une femme, une femme en
travail pourtant, qui me donna son accord, sa confiance et sa
bienveillance.
Je voulais également vous parler de
mes études, vous dire qu'elles avaient été marquées du sceau de
la transparence, et je me suis souvenu de ma première révision
utérine. (Pour les profanes, il s'agit d'un geste où l'on introduit
sa main et son avant-bras dans l'utérus pour récupérer des bouts
de placenta restant)
Ce n'est pas un geste que l'on pratique
couramment. Généralement, il se fait dans un contexte d'hémorragie
de la délivrance. Pour la patiente, c'est assez impressionnant (pour
les conjoints aussi), parfois douloureux. Ce n'est donc pas un geste
que l'on effectue facilement lorsque l'on est étudiante, encore
moins quand on est en début de formation. Moi, j'ai fait ma première
révision utérine en deuxième année, sur une patiente... sous
anesthésie générale.
Je ne me rappelle plus si elle avait
choisi d'accoucher sans péridurale ou si elle n'avait pas eu le
temps d'en bénéficier. Mais au moment de la délivrance, lorsque
son placenta est sorti incomplet et que l'équipe a craint que cela
ne se transforme en hémorragie, elle n'en avait pas et il fallut
l'endormir. Le médecin pratiqua le geste, avec efficacité. Puis,
sympathiquement, dans une totale bienveillance à mon sujet, me
proposa de faire une seconde révision derrière lui, « puisqu'elle
ne sentirait rien ». Là, je n'ai que peu hésité. En effet,
il n'y avait aucun risque pour elle : elle dormait, ne sentirait
rien. Je ne pouvais pas lui faire mal. J'ai pratiqué ce geste, fière
de moi, fière d'être sûrement la première de la promo à le
faire, sans me demander une seule seconde si la patiente avait donné
son consentement à cela.
Je voulais vous parler de mes études,
vous dire qu'elles avaient été marquées du sceau de la confiance
partagée et je me suis rappelée de comment on m'a enseigné
l'examen des femmes en consultations prénatales.
J'ai fait de nombreux stages en
consultations prénatales, dans diverses maternités. La plupart du
temps, la sage-femme se plaçait entre les cuisses de la femme, et
alors qu'elle l'examinait, regardait consciencieusement le vide, le
mur derrière la table d'examen. Parfois, elle me demandait de
prendre la tension ou de poser un monitoring en même temps. Pas de
temps à perdre. Je m'appliquais. Je suivais les « habitudes de
la maison ».
Et puis, au détour d'un nouveau stage,
j'ai découvert autre chose : une sage-femme qui se plaçait à
côté des femmes, qui prenait le temps de chauffer ses mains avant
de les poser sur leur corps, qui n'examinait que sur indication
médicale, et surtout, qui regardait les femmes dans les yeux tout au
long du toucher, en souriant. Toujours. Et les femmes souriaient
aussi. J'ai dû désapprendre tout ce que j'avais appris. Ne plus
regarder le vide. Faire attention au moindre petit mouvement, à la
moindre crispation, au plus petit rictus. Parfois, souvent, mon
regard se vidait, comme s'il pouvait deviner dans le lointain ce que
ressentaient mes doigts. Et Laurence me rappelait à l'ordre. Alors,
je m'excusais. Et les femmes riaient. Pas Laurence. C'était très
sérieux. On ne rigolait pas avec le lien qui unit la femme à la
sage-femme au cours du toucher vaginal. "C'est quelque chose d'intime".
Je me rappelle encore très bien ces mots, ses mots.
Rien n'est figé. J'ai changé. Tout peut changer. Il
suffit de tomber sur la bonne personne, celle qui vous ouvrira les
yeux, qui sortira du sentier largement battu par les autres.
Rien n'est figé. J'ai changé. Tout peut changer. Il
suffit de réfléchir à la raison qui motive nos gestes, quitter les
automatismes, revenir à l'essentiel, le patient et pas le geste en
lui-même.
Rien n'est figé. J'ai changé. Tout peut changer. Il
suffit de remettre le patient au centre de notre pratique, quitter
les corporatismes et les « habitudes de la maison ».
Faire ce qui est « juste », ce que l'on ressent comme
« juste », pour ce patient et pour nous.
Rien n'est figé. J'ai changé. Tout peut changer. Il
suffit parfois d'un électrochoc, d'une tribune qui nous ouvre les
yeux, soignants, enseignants, patients.