lundi 9 février 2015

Je voulais vous parler de mes études de sage-femme

Suite à la tribune sur "Le consentement, point aveugle de la formation des médecins, Le cas choquant du toucher vaginal", je voulais vous parler de mes études de sages-femmes.

Je voulais vous parler de mes études, vous dire qu'elles avaient été marquées du sceau du respect, et je me suis souvenue de mon premier toucher vaginal.
J'étais en première année, j'avais déjà passé deux semaines en stage en salle d'accouchement. J'avais vu un certain nombre d'accouchement, j'avais assisté à des consultations, à des césariennes... J'avais déjà vu beaucoup de choses mais je n'avais jamais « touché », jamais « mis la main ».
Ce jour-là, il y avait beaucoup de travail en salle. La sage-femme était donc allée accueillir cette 4ème pare qui venait en début de travail et alors que j'entrais dans la salle pour la rejoindre, elle repartait déjà. Elle me dit toutefois : « vas-y, examine-la et viens me dire ce que tu as trouvé » en passant la porte, sans même me regarder, sans même regarder la dame. J'étais sous le choc : j'allais faire mon 1er TV ! J'étais émue ! Mais en même temps, j'étais toute seule. Comment allais-je faire ? Comment savoir si je faisais ce qu'il fallait ? Et qu'allais-je dire à la dame : « Coucou ! Je viens faire mon 1er TV sur vous !! » D'autant plus qu'à l'époque, j'étais très timide, introvertie, manquant de confiance en moi. Je ne pouvais pas faire ça, je n'oserais jamais. Mais en même temps, si je ne le faisais pas, la sage-femme ne me le reproposerait pas. Et j'avais vraiment envie de commencer à « mettre la main à la pâte ». J'étais donc finalement entrée dans le box. La dame m'avait regardée, surprise. Alors, j'avais pris mon courage à deux mains et je lui avais expliqué : j'étais étudiante, si elle était d'accord, j'allais faire mon premier toucher vaginal sur elle. Elle m'a souri, elle m'a dit « oui » et, alors que je me perdais littéralement en elle, elle me guida pour que ce geste ne demeure pas un échec mais bien une réussite « un peu plus à gauche, vous le sentirez, je pense ».
Ce jour-là, j'ai fait mon premier TV, mais pas grâce à une sage-femme, grâce à une femme, une femme en travail pourtant, qui me donna son accord, sa confiance et sa bienveillance.

Je voulais également vous parler de mes études, vous dire qu'elles avaient été marquées du sceau de la transparence, et je me suis souvenu de ma première révision utérine. (Pour les profanes, il s'agit d'un geste où l'on introduit sa main et son avant-bras dans l'utérus pour récupérer des bouts de placenta restant)
Ce n'est pas un geste que l'on pratique couramment. Généralement, il se fait dans un contexte d'hémorragie de la délivrance. Pour la patiente, c'est assez impressionnant (pour les conjoints aussi), parfois douloureux. Ce n'est donc pas un geste que l'on effectue facilement lorsque l'on est étudiante, encore moins quand on est en début de formation. Moi, j'ai fait ma première révision utérine en deuxième année, sur une patiente... sous anesthésie générale.
Je ne me rappelle plus si elle avait choisi d'accoucher sans péridurale ou si elle n'avait pas eu le temps d'en bénéficier. Mais au moment de la délivrance, lorsque son placenta est sorti incomplet et que l'équipe a craint que cela ne se transforme en hémorragie, elle n'en avait pas et il fallut l'endormir. Le médecin pratiqua le geste, avec efficacité. Puis, sympathiquement, dans une totale bienveillance à mon sujet, me proposa de faire une seconde révision derrière lui, « puisqu'elle ne sentirait rien ». Là, je n'ai que peu hésité. En effet, il n'y avait aucun risque pour elle : elle dormait, ne sentirait rien. Je ne pouvais pas lui faire mal. J'ai pratiqué ce geste, fière de moi, fière d'être sûrement la première de la promo à le faire, sans me demander une seule seconde si la patiente avait donné son consentement à cela.

Je voulais vous parler de mes études, vous dire qu'elles avaient été marquées du sceau de la confiance partagée et je me suis rappelée de comment on m'a enseigné l'examen des femmes en consultations prénatales.
J'ai fait de nombreux stages en consultations prénatales, dans diverses maternités. La plupart du temps, la sage-femme se plaçait entre les cuisses de la femme, et alors qu'elle l'examinait, regardait consciencieusement le vide, le mur derrière la table d'examen. Parfois, elle me demandait de prendre la tension ou de poser un monitoring en même temps. Pas de temps à perdre. Je m'appliquais. Je suivais les « habitudes de la maison ».
Et puis, au détour d'un nouveau stage, j'ai découvert autre chose : une sage-femme qui se plaçait à côté des femmes, qui prenait le temps de chauffer ses mains avant de les poser sur leur corps, qui n'examinait que sur indication médicale, et surtout, qui regardait les femmes dans les yeux tout au long du toucher, en souriant. Toujours. Et les femmes souriaient aussi. J'ai dû désapprendre tout ce que j'avais appris. Ne plus regarder le vide. Faire attention au moindre petit mouvement, à la moindre crispation, au plus petit rictus. Parfois, souvent, mon regard se vidait, comme s'il pouvait deviner dans le lointain ce que ressentaient mes doigts. Et Laurence me rappelait à l'ordre. Alors, je m'excusais. Et les femmes riaient. Pas Laurence. C'était très sérieux. On ne rigolait pas avec le lien qui unit la femme à la sage-femme au cours du toucher vaginal. "C'est quelque chose d'intime". Je me rappelle encore très bien ces mots, ses mots.

Rien n'est figé. J'ai changé. Tout peut changer. Il suffit de tomber sur la bonne personne, celle qui vous ouvrira les yeux, qui sortira du sentier largement battu par les autres.
Rien n'est figé. J'ai changé. Tout peut changer. Il suffit de réfléchir à la raison qui motive nos gestes, quitter les automatismes, revenir à l'essentiel, le patient et pas le geste en lui-même.
Rien n'est figé. J'ai changé. Tout peut changer. Il suffit de remettre le patient au centre de notre pratique, quitter les corporatismes et les « habitudes de la maison ». Faire ce qui est « juste », ce que l'on ressent comme « juste », pour ce patient et pour nous.

Rien n'est figé. J'ai changé. Tout peut changer. Il suffit parfois d'un électrochoc, d'une tribune qui nous ouvre les yeux, soignants, enseignants, patients.

vendredi 6 février 2015

Plus jamais de toucher vaginal sur patientes endormies sans consentement préalable

Voici une tribune rédigée par Clara de BORT, directrice d’hôpital, ancienne correspondante Santé à la Mission interministérielle de Lutte contre les violences faites aux femmes, Béatrice KAMMERER, présidente et fondatrice de l’association d’éducation populaire Les Vendredis Intellos, et Marie-Hélène LAHAYE suite à l'affaire des touchers vaginaux sur patientes endormies, et soutenue par une cinquantaine de personnalités. 

En tant que sage-femme humaniste, féministe, il me paraissait évident de m'associer à cette démarche. 


Pour celles et ceux qui souhaiteraient également s’associer à cette démarche vous pourrez trouver ici une pétition à signer et relayer.


TRIBUNE
Le consentement, point aveugle de la formation des médecins
Le cas choquant du toucher vaginal

Doit-on enseigner aux jeunes médecins le toucher vaginal sur patientes endormies au bloc opératoire ? Les multiples déclarations reprises ces derniers jours dans un grand nombre d’articles viennent d’établir la réalité d’une pratique jusqu’alors largement niée. Selon les déclarations récentes de médecins, ces actes « n’auraient jamais existé », ou « auraient existé dans le passé mais ne seraient plus d’actualité », ou encore « existent effectivement et sont légitimes ». Bon nombre de professionnels de la santé et d’internes nous ont expliqué qu’ils doivent apprendre leur métier, et qu’il est préférable que la patiente ne sente rien, ne se souvienne pas que plusieurs inconnus sont passés la « voir ». Certains témoignages citent également les touchers rectaux, actes moins fréquents mais réalisés eux aussi à strictes fins d’apprentissage, sans vérification du consentement de l’intéressé. Ce n’est pourtant pas un geste anodin, ni pour le-a patient-e ni pour l’étudiant-e futur-e médecin.
Pour le-a patient-e qui n’a pas préalablement marqué son accord, il s’agit d’une négation de ses droits, celui de recevoir une information loyale sur la façon dont va se dérouler une opération, celui d’accepter ou de refuser tout geste médical. La loi Kouchner impose depuis 2002 qu’ « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment », celui surtout que son corps ne soit pas instrumentalisé. Ce geste effectué sans consentement pourrait même être assimilé, au sens pénal, à un acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d’autrui par contrainte ou surprise, c’est-à-dire à un viol.
« Si vous ne voulez pas être un objet d’étude, il vous suffit d’éviter de vous faire soigner en CHU », nous ont rétorqué certains médecins. Une hospitalisation en CHU serait donc, selon eux, un blanc-seing donné à toutes les visites, à toutes les pratiques, et un renoncement à ses droits les plus élémentaires. La Cour européenne des Droits de l’Homme estime pourtant qu’une simple information sur la présence et l’implication d’étudiant-es dans un hôpital ne constitue pas un consentement libre et éclairé à chacun de leurs actes, et que cette pratique est contraire aux droits fondamentaux. Il est dès lors surprenant que les étudiant-es apprennent une médecine qui transgresse les droits du patient. Le consentement libre et éclairé du patient à chaque acte médical est clairement le point aveugle de la formation des médecins.
Pour l’étudiant-e en médecine, être contraint par ses formateurs à procéder à un acte contraire à ses valeurs constitue une grande violence. Le jeune est invité à banaliser un geste pour lequel il éprouve des appréhensions légitimes, non sur le plan technique mais sur le plan éthique. A défaut de consentement, la personne qu’il examine est réduite à un organe. Il ne s’agit pas du vagin ou du rectum d’une personne à qui il demande l’autorisation de l’examiner. Il s’agit d’un vagin ou du rectum sur lequel une équipe d’étudiant-e-s s’entraîne à identifier tel ou tel problème, profitant de l’anesthésie de son-sa propriétaire. Demander l’accord de la patiente ? « Elle risquerait de dire non »i, rétorque la doyenne de l’Unité de Formation et de Recherche de la Faculté de médecine de Lyon. « C’est de la pudibonderie »ii, s’insurge le Président du Collège national des Gynécologues et Obstétriciens français. Ces réponses sont inquiétantes et confirment que se pose ici une véritable question éthique et de respect de la personne humaine. Cette déshumanisation, dès les premiers apprentissages de certains actes médicaux, nous préoccupe. Le non-respect de la loi par les enseignants eux-mêmes nous inquiète. L’absence de place donnée au doute, à l’échange, à la prise en compte de la singularité de chaque patient nous interpelle. De plus, pour quelles raisons seul le médecin enseignant doit-il déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas ? Pourquoi n’y a-t-il aucun tiers dans cette évaluation ? L’avis des étudiant-es, des patients, de la société ne compte-t-il pas ?
C’est bien l’un des problèmes que nous identifions dans les études de médecine : la création d’un entre-soi organisé autour de la transmission des pratiques, les meilleures comme les pires, plutôt que leur interrogation et leur examen critique ; le maintien d’un milieu marqué par le pouvoir, dans lequel on apprend à reproduire et à cultiver une certaine forme de secret loin du regard de la société ; la défense d’un esprit de corps empreint de domination où les interrogations et souhaits du patient ont peu de poids face aux certitudes héritées d’un autre âge. De telles conceptions de la médecine sont de nature à rompre définitivement la confiance entre le monde médical et le reste de la société qui ne les accepte plus. Nous ne sommes pas tous médecins, mais nous sommes tous concerné-e-s. Les femmes le sont particulièrement, par la multiplicité des contacts qu’elles ont tout au long de leur vie de femme pour leur suivi gynécologique, mais les témoignages relatifs aux touchers rectaux démontrent que c’est bien le rapport au patient qui dysfonctionne. Or chaque personne connaît mieux que quiconque son propre corps, ses limites, ses aspirations et ses souhaits.
Au vu de la gravité des pratiques mises au jour, nous demandons à Marisol Touraine, Ministre de la Santé, et à Najat Vallaud-Belkacem, Ministre l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, de lancer une inspection conjointe et de l’IGAS et de l’IGAENR pour faire toute la lumière sur cette affaire et les conditions de l’apprentissage pratique des futurs médecins de notre pays. Nous demandons que le recueil du consentement sur les actes pratiqués par des étudiant-e-s soit systématisé dans l’ensemble des hôpitaux français. Nous souhaitons qu’en complément du compagnonnage par les pairs, les futurs médecins bénéficient au cours de leurs études d’apports et d’appuis extérieurs, de la part de professionnels des sciences humaines, de la philosophie, du droit, de la sociologie. Les critères éthiques de l’enseignement de la médecine ne doivent pas être énoncés par les seuls médecins français, mais par l’ensemble des personnes concernées : étudiant-e-s, associations de patients, juristes, éthiciens, en s’appuyant sur les avancées existant dans d’autres pays développés (Scandinavie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Canada…). L’éthique ne peut définitivement plus être une simple option dans la formation des médecins français.

Clara de BORT, directrice d’hôpital, ancienne correspondante Santé à la Mission interministérielle de Lutte contre les violences faites aux femmes
Béatrice KAMMERER, présidente et fondatrice de l’association d’éducation populaire Les Vendredis Intellos
Marie-Hélène LAHAYE, juriste, féministe, auteure du blog « Marie accouche là » http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/
Martin WINCKLER, médecin et écrivain
Juliette Noureddine dite Juliette, auteure compositrice interprète
Dre Muriel SALMONA, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
Céline SCHILLINGER, bloggeuse, cadre d’industrie, engagée pour l’égalité hommes/femmes
Pierre THEPOT, directeur d’hôpital
Dr Gilles LAZIMI, médecin, enseignant et membre du haut conseil à l’égalité entre les femmes et les femmes, et coordinateur de la campagne télé « proches » contre le viol du CFCV
Bénédicte ROUSSEAU, sociologue, auteure du blog www.laurabodeysimplyhuman.net
Diane SAINT-REQUIER, journaliste et actrice de prévention
Diké, blogueuse féministe
Hélène, blogueuse
OVIDIE, auteure et réalisatrice
Paul CESBRON, gynécologue obstétricien
Marie-Hélène BOURCIER, sociologue
VALERIECG, blogueuse www.crepegeorgette.com
DARIAMAX, blogueuse http://dariamarx.com/
Les dé-chaînées, association féministe
Martin DUFRESNE, journaliste Montréal (Canada)
Laure de Montalembert, journaliste santé
Emmanuelle Piet, médecin Présidente du Collectif Féministe Contre le Viol
Anne Verjus, chercheure au CNRS, histoire politique et sociologie du genre
Anne-Charlotte Husson, doctorante, blogueuse www.cafaitgenre.org
Hypathie, blogueuse
Chris Blache, co-fondatrice de l’Association Genre et Ville
Dre Claire Rondet, Maitre de conférence en médecine générale à l’université Pierre et Marie Curie
Johanna Luyssen, journaliste, membre du collectif PrenonsLa1
Eloïse BoutoN, Journaliste indépendante et militante féministe
Emmanuelle GONTIER, psychologue
Elodie Bacoup, juriste
Clara Gonzales,Macholand.fr
Elliot Lepers, Macholand.fr
Caroline De Haas, militante féministe, Macholand.fr
Claude Didierjean Jouveau, responsable associative et auteure d’ouvrages sur la naissance et la petite enfance
GM Zimmermann, auteure
Marie Kirschen, journaliste, rédactrice en chef de la revue well well well
Corinne Morel Darleux, conseillère régionale Rhône Alpes
Anne-Marie Viossat, féministe
Evelyne Pierron, médecin pharmacovigilante
Nathalie Perrin-Gilbert, mairie du 1er arrondissement, Lyon
Baptiste BEAULIEU, auteur du blog Alors voilà. Journal des soignés/soignants réconciliés
Blandine LENOIR, réalisatrice
Gwen FAUCHOIS, activiste, lesbienne et féministe, blogueuse
Fabien ABITBOL, ancien journaliste, blogueur
Agnès LEGLISE, chroniqueuse
Monica ZOPPI FONTANA, Professeur de L’Université de Campinas-Brésil, chercheur visitant au laboratoire Triangle ENS
AVFT, Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail
Pascaline LAMARE, française de Québec
Poule Pondeuse, blogueuse, www.poule-pondeuse.fr
Marie-Alice CHASSERIAUD, graphiste et féministe
Fabienne, blogueuse
Anne-Lina, docteure en santé publique
Gogo, twitto @santedefrance
Christine DETREZ Maître de conférence HDR en sociologie à l’ENS de Lyon
10lunes, sage-femme auteure du blog http://10lunes.com/ Maternités, paternités, histoires de vie, petits récits et autres brèves de sage-femme
CIANE, Collectif interassociatif autour de la naissance
Dr Michel SCHMITT, médecin, chef de pôle hospitalier, auteur de plusieurs ouvrages sur la bientraitance à l’hôpital
Martine SILBER, journaliste et blogueuse
Coryne NICQ, dircom, engagée pour un entreprenariat plus humain et plus responsable
Judith Silberfeld, journaliste, rédactrice en chef du site d’information Yagg.com
Martine Chriqui-Reinecke, psychologue clinicienne, consultante
Céline Darmayan, réalisatrice du film Entre leurs mains
Geriroz, Femme twitto, en invalidité
M.J. Keller, présidente de l’ordre des sages femmes
Agathe Tournesoleil, sage-femme, blogueuse

i « On pourrait effectivement demander à chaque personne l’accord pour avoir un toucher vaginal de plus mais j’ai peur qu’à ce moment-là, les patientes refusent. » http://www.metronews.fr/info/touchers-vaginaux-sur-patientes-endormies-un-tabou-a-l-hopital/moaC!txk2bsiOnYXIU/
ii Ne vous semblerait-il pas normal de lui demander son consentement ?
– C’est aller trop loin dans la pudibonderie !